LATITUDES

Mon philosophe, ce psy!

Récente en Suisse, la thérapie philosophique intervient sur les questionnements existentiels. Les soignants y ont également recours pour prendre du recul sur leur pratique.

C’est le décès brutal de son époux qui a poussé Françoise* à consulter un philosophe, en 2013. A l’époque, les questions se bousculent, autour de la mort, de la perte, du sens de la vie. Durant un an, elle échange avec le philoconsultant Jean-Eudes Arnoux, à Lausanne, à raison d’une discussion d’une heure par mois. «Je ne cherchais pas une solution, mais une façon de pouvoir continuer à vivre», raconte Françoise.

En dépression après un licenciement difficile, Alice* s’est, quant à elle, rendue chez le philosophe Georges Savoy à Fribourg, «pour ses qualités d’écoute et sa façon de reformuler certaines choses». «Aller chez un professionnel m’a permis de prendre du recul sur une situation déstabilisante.»

Si la démarche s’apparente à une consultation chez un psychologue, elle n’est pas tout à fait identique, explique Jean-Eudes Arnoux, pionnier de la consultation philosophique «en cabinet» en Suisse romande: «La psychothérapie aborde les problèmes sous l’angle de la maladie, c’est-à-dire d’un point de vue médical, la philosophie sous l’angle d’une condition de vie, c’est-à-dire d’un point de vue existentiel.»

Réflexion plus large

En clair, alors que la psychothérapie se sert d’habitude des médicaments et de la science, la thérapie philosophique se fonde sur une réflexion plus large: la place de l’homme dans l’histoire, sur la planète, le rôle des sentimentset des émotions dans la vie de chacun, etc. Les problématiques récurrentes: le bonheur, la mort, l’amour et le couple, mais aussi le travail. «J’accompagne aussi bien des jeunes en difficulté d’apprentissage que des patrons», raconte Georges Savoy.

Chaque philosophe a sa manière de faire, issue de son parcours, de ses convictions, de ses affinités intellectuelles, et l’adapte à son interlocuteur. «Je n’ai pas qu’une seule méthode, même si, pour moi, la psychanalyse est importante, indique Georges Savoy. J’aide les personnes à accoucher de leurs propres idées, désirs, peurs, à accoucher d’elles-mêmes, au final. C’était le projet de Socrate.»

Emmanuelle Métrailler, philosophe en Valais, travaille à partir de la pensée platonicienne. Elle aide ses patients à renouer avec toutes les facultés de leur âme et les dimensions de leur personnalité pour «retrouver un accord, une intégrité, entre la parole et les actes». Une conception proche de celle de Jean-Eudes Arnoux, qui axe sa réflexion autour du rapport à la vérité. «Je ne sais pas si la consultation philosophique rend heureux, mais elle rend plus lucide. Et plus on est lucide, plus on est à même de s’accepter et de vivre de façon authentique.»

*Prénoms d’emprunt.
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ENCADRE

«Un philosophe en médecine, pour questionner la pratique au quotidien!»

Friedrich Stiefel, chef du Service de psychiatrie de liaison au CHUV, collabore avec le philosophe Hubert Wykretowicz depuis deux ans. L’objectif est de faire le point sur les savoirs acquis qui semblent aller de soi et de les questionner, qu’il s’agisse des manières de concevoir la maladie et le patient, ainsi que des relations avec ce dernier et des pratiques: «L’homme malade n’est pas seulement un corps biologique qui enveloppe une psyché, c’est une figure qui change à travers le temps et selon l’angle de vue», explique le psychiatre. La réflexion menée avec le philosophe n’a pas pour but de trouver un traitement spécifique.

Si «traitement» il y a, c’est plutôt du côté des soignants qu’il faut le concevoir, afin d’augmenter leur conscience et d’élargir leur champs de vision. «Si l’on prend l’exemple d’un patient souffrant de la maladie de Parkinson, son histoire n’est pas seulement l’accumulation de symptômes neurologiques et d’une éventuelle détresse psychique associée, continue Friedrich Stiefel. Le patient ressent également son corps dans ses dimensions existentielles: le corps que j’ai, le corps que je suis, le corps qui me lie aux autres, le corps qui regarde, le corps qui est regardé, etc. Sans oublier que le ralentissement moteur et la restriction induite par la rigidité musculaire changent son rapport au temps et à l’espace.

Toutes ces modifications de perceptions ne sont pas abordées au cours de la formation des soignants. L’étude de ces dimensions du vécu — au cœur du quotidien du patient — permettrait donc d’approfondir la connaissance et la compréhension de l’être malade.» Par ailleurs d’autres disciplines traditionnellement pas ou peu associées à la médecine comme la linguistique, l’anthropologie ou la sociologie font partie de cette volonté de questionner et de comprendre les êtres dans un monde qui bouge, y compris les malades et leurs soignants.
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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 7).

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