LATITUDES

Favoriser le télétravail, une bonne idée?

Le home office se répand dans les entreprises suisses. Ses effets sur la productivité et la motivation des collaborateurs se révèlent positifs, pour autant qu’il s’accompagne d’un cadre strict.

Quel employé ne rêve pas — de temps à autre — de pouvoir travailler en pyjama depuis la maison, plutôt que de devoir s’habiller en vitesse pour sauter dans un train et rejoindre son bureau? Pour un nombre toujours plus important de salariés suisses, ce rêve est devenu réalité. De plus en plus de PME optent pour des modèles flexibles et n’imposent plus une présence permanente sur le site de l’entreprise.

Publiée en décembre dernier, la «Workplace Survey 2015» du cabinet de recrutement Robert Half a interviewé cent responsables en ressources humaines du pays à ce sujet. Un tiers d’entre eux dit avoir élargi son offre de travail à domicile au cours des trois dernières années. L’étude précise également que sur les 4,5 millions d’employés actifs en Suisse, plus de la moitié ont la possibilité de travailler de manière mobile ou à domicile.

«Les patrons qui cherchent à embaucher les meilleurs profils du marché doivent considérer le travail à distance comme un argument stratégique pour les attirer», conseille Yeng Chow, manager chez Robert Half. Dans certains secteurs, les employeurs éprouvent de grandes difficultés à trouver le personnel spécialisé dont ils ont besoin. Le home office doit servir à convaincre les futurs collaborateurs de rejoindre l’entreprise, comme chez Ratio à Lausanne, une société de dix salariés spécialisée dans l’ergonomie web. «Dès les débuts, nous avions en tête d’offrir à nos collaborateurs comme avantage la possibilité de travailler à distance», explique Simon Farine, directeur et associé. Pour autant, aucune disposition contractuelle ne précise la pratique du home office. «Personne de l’équipe ne reste chez lui tous les vendredis, par exemple. En revanche, occasionnellement, nous permettons à nos employés de travailler à distance. Ainsi, puisque la compagne de l’un de nos employés habite en Allemagne, nous lui permettons de travailler depuis là-bas pour allonger ses weekends à ses côtés.» Autre cas de figure: prochainement l’une des collaboratrices partira trois semaines en vacances au Japon. «Puis elle en passera trois autres supplémentaires sur place, hors temps de congé, en collaborant à distance.»

«Machines à interrompre»

Plutôt que le terme «home office» (bureau à la maison), le milieu des agences de communication digitale et des entreprises actives sur internet comme Twitter ou Airbnb lui préfèrent celui de «remote office» (bureau éloigné) popularisé par le livre «Remote: office not required» de Jason Fried et David Heinemeier Hansson, les créateurs de nombreux outils de collaboration web et notamment du gestionnaire de projet Basecamp. Publiée en 2013, cette bible du télétravail compare les bureaux d’une entreprise à des «machines à interrompre» au cœur desquelles la journée de travail est «découpée en petits morceaux de dix, quinze et vingt minutes», chacun de ces segments étant accaparé par une conférence téléphonique, une réunion ou «toute autre forme d’interruption institutionnalisée et superflue, rendant la concentration impossible».

S’il est vrai que le home office permet à ses adeptes de se plonger dans le travail sans être dérangés, il faut néanmoins l’associer à un certain nombre d’auxiliaires de communication qui visent à remplacer la présence physique des employés dans un même espace de bureau. «Nous avons mis en place des outils pour travailler à distance comme le tchat pour les questions informelles, Basecamp pour la gestion de projets ou Dropbox pour la mise à disposition et le partage des fichiers avec toute l’équipe», continue Simon Farine de Ratio. Des applications qui servent aussi à éviter que l’un des employés se sente isolé. «Sur le ‘tchat’, les gens peuvent discuter à deux mais aussi en groupe ou faire suivre des gags pour toute l’équipe. Une règle que nous avons mise en place, c’est de dire bonjour sur le ‘tchat’ quand on commence à travailler, à tout le monde et où que l’on se trouve, et d’annoncer également quand on termine. L’idée est de créer une interaction semblable à celle qu’offrirait la réalité.»

Pour les entreprises qui évoluent dans la culture du partage et de l’open space, le home office semble être une évidence. Comme chez Ecodev, une agence neuchâteloise de services informatiques qui compte sept associés-employés (chaque collaborateur étant partie prenante de la structure). «Nous pratiquons le télétravail depuis plus de dix ans, c’est une façon pour nous de privilégier la qualité de vie et des conditions de travail de chacun», explique le gérant de la société Mark Haltmeier. Là aussi, le fonctionnement du travail à distance est aidé par des outils communs tels que Google Hangouts pour la vidéoconférence, Skype, le tchat et d’autres canaux internes d’interaction. Certains collaborateurs ont ainsi travaillé durant plusieurs mois depuis Prague, Séoul, l’Angleterre ou le Cambodge. Mark Haltmeier est pour sa part souvent au bureau. Mais ce ne fût pas toujours le cas. «Pendant un an, je me suis occupé de la scolarisation de mon fils et j’ai donc travaillé un peu plus que d’habitude depuis la maison. Pour les métiers, de plus en plus nombreux, qui s’occupent du traitement de l’information, les possibilités de travailler à distance sont bien réelles. Mais pour d’autres professions, cela n’est évidemment pas envisageable.»

Quoique. Basée à Zurich, Stefisa – Wirth & Schwaar est active dans la construction de pièces mécaniques pour l’industrie. Son patron Franz Hostettler emploie quatre employés dont un seul se rend quotidiennement dans l’atelier zurichois de l’entreprise. La comptable opère depuis son foyer, le commercial est basé à Neuchâtel, le technicien en Autriche et le patron depuis son logement situé sur les hauteurs du Lavaux, à Chexbres. «Nous travaillons à l’objectif et pas selon un nombre d’heures hebdomadaires à effectuer», explique Franz Hostettler. Certaines journées sont plus longues que d’autres, mais les dépassements sont repris en vacances. «Mes employés sont flexibles et disponibles quand j’ai besoin d’eux et je le suis aussi lorsqu’ils veulent s’absenter une après-midi par exemple. Ce fonctionnement permet à notre structure d’être très réactive.»

Autre exemple, celui de Biences Swiss Cosmetics SA à Marly. Active depuis plus de 25 ans dans la fabrication et la distribution de produits cosmétiques, la société emploie 30 personnes dans les bureaux de son siège fribourgeois et 30 autres qui toutes travaillent à la maison. «Depuis janvier de cette année nous offrons la possibilité du télétravail à nos représentantes, explique sa directrice pour la Suisse romande Marie-France Bourdon. Lorsqu’elles ont besoin d’un endroit pour recevoir des clientes, elles peuvent utiliser nos bureaux où nous disposons notamment d’un institut.» En majorité féminines, les conseillères de Biences peuvent ainsi organiser leur emploi du temps entre leurs activités professionnelles et familiales.

Un cas de figure qui, selon l’experte en gestion de ressources humaines Nadia Coubès-Hasler de RH Consulting, serait toujours plus courant: «Les travailleurs deviennent parents plus tard, souvent après la trentaine, à un moment clé d’une carrière. Dans ce cadre-là, le home office leur permet d’endosser leurs responsabilités professionnelles tout en étant présent pour leur famille. Les entreprises doivent s’adapter à ce changement générationnel en offrant la flexibilité nécessaire pour attirer et fidéliser leurs employés.»

Définir les buts

Nadia Coubès-Hasler prêche pour la solution du home office pour augmenter la satisfaction des salariés qui le désirent. Mais elle insiste sur la nécessité de mettre en place un cadre strict autour de l’exercice. Outre le matériel qui doit être mis à disposition du télétravailleur, il est aussi important que l’employeur et l’employé définissent ensemble les buts à atteindre, que le collaborateur dispose d’un espace de travail séparé du reste de son foyer, qu’il aménage clairement son temps entre travail, pauses et famille, qu’il entretienne un contact avec ses collègues et qu’un compte-rendu régulier soit effectué avec son supérieur. Enfin, pour les entreprises qui désirent officialiser le home office, il est important de se doter d’un système de sécurité performant pour protéger les données sensibles qui pourraient être échangées lors du télétravail et transiter sur internet hors du réseau interne.

Pour éviter que certains télétravailleurs n’effectuent pas leur tâches ou n’aient pas les informations nécessaires, la consultante recommande la création d’une sorte de règlement visant à atténuer les méfaits potentiels sur la communication que peut engendrer le home office, «car rien ne permet de remplacer le face à face».

Un sentiment partagé par de nombreux patrons qui n’interdisent pas à leurs employés de travailler chez eux occasionnellement, mais estiment que leur présence physique dans les bureaux est primordiale. Il en va de la qualité de la relation avec les clients et de la bonne entente entre les membres de l’équipe. «Je suis assez flexible, si quelqu’un veut travailler de temps à autre à la maison, je le laisse faire, explique Skander Najar, fondateur et directeur de NASK à Genève (4 employés fixes et un réseau d’une quinzaine de freelancers), une société d’innovation par le design qui aide les entreprises à repenser leur image, leur communication ou leur management. Mais étant pour ma part souvent en rendez-vous à l’extérieur, je considère qu’il est important d’avoir des personnes présentes au bureau, ne serait-ce que pour répondre au téléphone ou à la porte.»

Pour certaines professions où les échanges — durant des phases de création par exemple — sont importants, la présence physique des employés au sein d’un même espace de bureaux semble plus que souhaitée. «La marque horlogère Romain Jerome emploie une quinzaine de personnes à des postes très spécialisés, explique son directeur Manuel Emch. Par conséquent, les interactions directes entre les personnes demeurent primordiales pour la bonne marche des affaires.» Sans l’interdire, le CEO n’est pas convaincu que le télétravail soit idéal pour une société de la taille de la sienne. Pour pouvoir compter sur ses collaborateurs lorsqu’il en a besoin, il a choisi de favoriser un autre type de flexibilité. «Le home office n’est pas toujours facile à implémenter: à qui l’octroie-t-on et à quelle cadence? Je préfère parfois recourir au temps partiel, qui est également très apprécié.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine