Parmi le flot d’explications au triomphe de l’UDC, la moins intéressante n’est peut-être pas celle qui y voit plutôt la défaite d’une gauche incapable de répondre au simplisme xénophobe. Sinon par un simplisme xénophile.
Donc pour une fois, les sondeurs avaient vu juste. C’est toujours ça. Puisqu’ils étaient tellement attendus, prévisibles et justement prédits, les triomphes des Radicaux et surtout de l’UDC ne devraient pas laisser tant de monde si pantois. L’insubmersible Suzette Sandoz n’a dans le fond pas tout à fait tort de soutenir qu’il est abusif de parler de coup de barre à droite. «Rechtsrutsch», comme on dit du côté de chez nos voisins mâcheurs de gravier et néanmoins amis et compatriotes.
Pas tellement, comme l’écrit l’ancienne conseillère nationale et prof de droit, parce que l’UDC ne serait pas vraiment un parti de droite, avec tous ces pue-la-sueur, ces gagne-petit, ces prolos mal dégrossis qui ont embrassé la tonitruante et très épaisse cause blochérienne, Mais plutôt parce que cette victoire de la droite dure cache peut-être une défaite bien plus significative de la gauche.
Ce ne seraient pas ses simplifications xénophobes sur l’immigration qui auraient donné la victoire à l’UDC mais plutôt le simplisme tout aussi criard des réponses qui lui sont apportées à gauche. Des réponses aussi grossières, mécaniques, idéologiques et rabâchées que les slogans nationalistes. Avec en plus cette insupportable odeur d’encens et de sermons culpabilisants et ce sentiment si prétentieux, qui se voyait sur eux, de représenter le camp du vrai, du juste, de l’intelligent, du moderne.
Ce n’est pas loin d’être la thèse que défend dans «Le Temps» l’économiste François Grin, professeur à l’Université de Genève et directeur de l’Observatoire Economie -Langues-Formation. «Bien sûr, écrit-il, il fallait contrer le discours de l’UDC. Mais probablement pas en infligeant aux électeurs des leçons de morale ou en traitant toute réserve envers l’immigration comme preuve d’intolérance. Ni en exhortant la population à surmonter, face à l’immigration, les prétendues «peurs» qui lui sont fort hâtivement attribuées. Outre qu’il est rarement très habile de traiter les gens d’intolérants ou de poltrons, c’est une simplification — et donc, également, une erreur.»
Pour preuve, François Grin cite «la plus grosse enquête jamais réalisée en Suisse sur les attitudes envers l’immigration», qu’il a lui-même dirigée et qui questionnait 41 000 jeunes hommes de 19 ans. Et d’où il est ressorti que «les mêmes personnes peuvent très bien faire preuve d’ouverture à la présence étrangère et même y être favorables, tout en ayant de claires exigences sur le plan de l’intégration, comme le montre leur refus de toute relativisation des normes civiques prévalant en Suisse.»
En gros, résume François Grin, il n’est pas franchement honnête de considérer qu’attendre de l’étranger un minimum d’intégration revient à refuser la présence de ce même étranger. Ainsi «se dire hostile au port du voile dans l’espace public ne signifie pas pour autant qu’on préfère une Suisse sans étrangers».
Et de suggérer qu’il devrait être quand même possible de la part d’une gauche qui se voudrait intelligente, de proposer un discours restant fidèle à des valeurs assumées tout en tenant compte «des préoccupations que de nombreux citoyens partagent, à tort ou à raison». En pensant par exemple l’altérité selon des catégories un peu plus élaborées que le bon-pas bon. Ce genre de considérations entrent bien sûr difficilement dans l’étroit catéchisme du bien et du mal récité à journées faites par certaines élites de gauche.
Qui se sent diaboliser à longueur d’années, d’antennes et de colonnes, finira un beau jour par trouver l’enfer attirant. Ce jour-là semble être arrivé. A trop le bêler aussi sur tous les tons et en chaque circonstance, à s’en servir comme d’un anathème méprisant ou d’un dogme infaillible, on finit par même ôter au fort mot de «solidarité» toute signification et toute réalité.