LATITUDES

Restaurants éphémères, succès durable

Un repas dans une usine ou une gare désaffectée le temps d’une soirée: la tendance des pop-up restaurants gagne la Suisse romande. Ces rendez-vous culinaires atypiques affichent complet.

Installés dans le sous-sol d’un café, quelques dizaines de convives goûtent leurs plats dans la pénombre. Ils portent tous un casque vissé sur les oreilles. Une voix leur susurre la description du menu, accompagnée d’une musique en accord avec les produits cuisinés. Le collectif romand Feel the Food a mis sur pied plusieurs dîners comme celui-ci, des rendez-vous originaux qui se distinguent aussi par leur caractère éphémère: ils n’ont lieu qu’une fois ou deux, dans un lieu toujours différent.

Les événements de Feel the Food s’inscrivent dans la tendance des restaurants éphémères ou «pop-up restaurants» née aux Etats-Unis dans les années 2000. Ils se multiplient aujourd’hui dans toute la Suisse romande et surgissent dans des anciennes friches industrielles, des jardins privés ou encore des théâtres, au gré des occasions, le temps d’une soirée. Ils sont souvent l’initiative d’amateurs de cuisine qui souhaitent partager leur passion.

Les exemples se multiplient dans la région lémanique avec les Ripailleuses Pop-up Restaurant, les Funky Brunches ou les initiatives de Lausanne à Table, association qui organise entre autres le Restaurant Day, une journée durant laquelle toute personne peut s’improviser chef et servir ses spécialités chez elle ou dans la rue. Pour Bettina Höchli, spécialiste des questions alimentaires au Gottlieb Duttweiler Institute de Zurich, les pop-up restaurants répondent à un intérêt de la population pour le «bien-manger». «Leur succès démontre aussi le plaisir d’expérimenter qui s’accentue ces dernières années chez les consommateurs.»

Yann Kerloc’h, cofondateur du collectif Feel the Food, a décidé de jouer sur le caractère insolite de ces rencontres: «Notre but a toujours été de créer une ambiance particulière dans un cadre atypique et de déstabiliser les gens.» Il a lancé son projet en 2006 avec quatre amis pour faire découvrir au public des produits locaux sous forme ludique. Ensemble, ils ont installé leurs fourneaux dans un centre d’art contemporain ou encore dans l’ancienne usine Suchard de Neuchâtel avec des menus thématiques autour de la fraise ou de l’asperge par exemple. Le concept plaît: tous les rendez-vous de Feel the Food se sont tenus à guichets fermés.

Un esprit de partage

«Ces événements éphémères sont aussi appréciés pour leur esprit de partage», explique Samimé Ozem, cofondatrice de l’association Les Ripailleuses Pop-Up Restaurant. L’équipe lausannoise a par exemple occupé le Théâtre 2.21 à Lausanne en novembre dernier pour un petit déjeuner fait maison, garanti sans gluten et sans lactose. «Nous avions loué de grandes tables pour dix personnes et tous les participants ont joué le jeu, en se mêlant aux autres.»

«Le caractère immédiat de ces événements pousse les consommateurs à saisir l’occasion quand elle se présente», souligne encore Bettina Höchli, du Gottlieb Duttweiler Institute. Le succès de Funky Brunch, un concept de brunch avec DJ, groupe de musique funk ou R’n’B et animations pour enfants qui ont lieu dans un endroit tenu secret jusqu’à la semaine précédant l’événement, repose beaucoup sur cet aspect «à ne pas manquer». Jacqueline Chelliah, cofondatrice, stimule la curiosité des participants sur sa page Facebook jusqu’au dernier moment. «Quand j’annonce une nouvelle date, je suis toujours étonnée par les nombreuses réactions des gens et leurs idées de lieux. Je n’ai encore entendu personne être déçu quand la destination finale est dévoilée. Nous avons par exemple organisé un brunch au Mandarin Oriental et je pense que les gens savaient qu’ils ne reverraient jamais une chanteuse et un DJ hip hop animer un repas dans cet hôtel de luxe. C’est inattendu!» Avec des prix situés entre 36 et 90 francs selon les lieux et les formules, les Funky Brunch se sont déjà tenus sur plus de 20 éditions.
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.