L’engouement pour ce sport de glisse a fait naître une nouvelle industrie. Cours, location, vente, fabrication de planches: sur les bords du Léman, de nombreuses entreprises locales tirent parti d’un marché en plein essor.
Depuis quelques années, sur les lacs de Suisse se dessinent chaque été des silhouettes élancées, devenues rapidement familières. Les adeptes du stand up paddle, ce sport né à Hawaï dans les années 2000 qui se pratique à l’aide d’une pagaie debout sur une planche de 2,50 mètres à 4,10 mètres de long, sont aujourd’hui plusieurs milliers dans le pays. «L’engouement pour le stand up paddle s’explique par son accessibilité, dit Raphaël Dutoit, brand manager chez le fabricant de planches Nidecker, à Rolle. Il convient à tous les âges et il est associé à l’imagerie du surf, qui fait rêver.» Préparateurs physiques et médecins du sport ont également participé à l’essor de la discipline en louant ses bienfaits pour la santé. Et le stand up paddle s’associe désormais à d’autres sports, comme le yoga, le fitness ou le polo, qui se pratiquent sur la planche.
Cet enthousiasme populaire a généré un marché qui ne cesse de grossir depuis une dizaine d’années. Le président de l’Association suisse de stand up paddle, Robert Etienne, estime que 150 à 200 marques fabriquent des planches à travers le monde. «Par année, il doit s’en vendre entre 160’000 et 190’000. Des chiffres impressionnants pour une industrie si jeune!» De nombreux fabricants de windsurf ont flairé la tendance et se sont convertis, mais également d’autres enseignes actives dans les sports de glisse. En Suisse, trois marques se distinguent: Nidecker, venue du snowbard, Indiana, basée à Zurich et active dans le skateboard, et le fabricant de luges zougois Airboard. «Le développement des planches gonflables a permis à l’industrie de prospérer, poursuit Raphaël Dutoit, chez Nidecker. Pour un amateur, il est plus évident d’acheter une planche qui se dégonfle, et donc se transporte et se range facilement, plutôt qu’une planche en dur de trois mètres de long…»
L’essor du stand up paddle a également redynamisé les centres de sports de glisse estivaux. Sur les bords des lacs, beaucoup proposent désormais locations et cours. Ils estiment que le nombre d’adeptes augmente de 30 à 40% par an. Saisonnière et tributaire de la météo, la discipline ne permet cependant pas aux gérants de centres ou de magasins spécialisés de vivre toute l’année de ces revenus. La plupart exerce une autre profession durant l’hiver. Témoignages.
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PORTRAITS
«Jamais un nouveau sport nautique n’a évolué aussi vite»
Etablis à Rolle, Lutry et Prangins, les Paddle-Centers du couple Michelin ne désemplissent pas de mai à septembre.
Cinq minutes sur la planche ont suffi à Pascal Michelin pour tomber amoureux du stand up paddle. Cet ancien journaliste dans le domaine des sports de glisse, qui s’était tourné vers l’horlogerie, est alors revenu à ses premières amours et a ouvert en 2010, avec sa femme Naomi, un centre de location, de vente et de cours de stand up paddle. «Nous avons tout de suite eu l’opportunité de lancer deux antennes à Rolle et Lutry. Puis, en 2012, face à l’engouement populaire, nous nous sommes également installés à Prangins, raconte Pascal Michelin. A ma connaissance, jamais un nouveau sport nautique n’a évolué aussi vite.»
Sur ses trois centres réunis, le couple dispose d’une soixantaine de planches, «mais nous sommes souvent obligés d’en emprunter davantage tant la demande est forte.» L’entreprise familiale emploie des extras durant l’été, deux par centre pour les jours de grande affluence. Les instructeurs donnent des cours classiques mais aussi des variantes comme le SUP yoga ou le SUP fitness. Les centres offrent également des descentes de l’Aar ou des excursions à l’étranger, notamment sur les canaux de Venise. Partenaire de plusieurs marques, dont Nidecker et Indiana, l’entreprise organise des sessions de test de matériel pour les clients intéressés par l’achat de planches.
En dehors de la saison estivale, le couple gagne sa vie en travaillant en free-lance dans le domaine du marketing. «Nos centres sont ouverts de mi-mai à mi-septembre, mais nous proposons des activités de stand up paddle en hiver également, avec des combinaisons à disposition et un sauna mobile, chauffé au bois.» Pascal Michelin n’envisage pas pour le moment d’ouvrir un quatrième Paddle-Center. Jusqu’ici, tous les bénéfices réalisés ont été réinvestis dans les centres existants.
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«Nous avons sillonné toute la Suisse avec nos planches»
Plus connue pour ses snowboards, la marque Nidecker, basée à Rolle, a été la première du pays à produire des planches de stand up paddle.
En 2007, convaincue par l’un de ses collaborateurs que le stand up paddle est un sport d’avenir, Nidecker se lance dans la production de planches. L’entreprise familiale centenaire crée alors à Rolle la cellule Nidecker SUP et s’adjoint les services de deux champions de la discipline et d’un fabricant de planche renommé pour concevoir et designer des produits à la fois esthétiques et performants. «Avec nos premières planches et une remorque, nous sommes partis sillonner la Suisse pendant deux ans pour faire découvrir ce sport aux gens», se souvient Raphaël Dutoit, brand manager.
La PME rolloise produit deux catégories de planches: les gonflables et les rigides, représentant respectivement deux tiers et un tiers de sa production. «Le marché est davantage axé sur les modèles gonflables car ils sont plus faciles à transporter et à stocker, par contre ils sont moins performants sur l’eau.» La société spécialiste du snowboard a trouvé avec le stand up paddle une très bonne diversification pour la saison estivale. «Notre nom reste présent. La production se fait toute l’année, mais l’été est consacré aux tests et à la vente.» La marque fait peu de vente directe. Elle travaille principalement avec des centres partenaires, qui font tester son matériel puis le commercialisent. Le coût d’une planche s’élève en moyenne à 1300 francs.
Les prototypes sont créés à la main dans l’atelier de Rolle, puis les planches sont produites en Chine. Leader du marché européen les premières années avec ses planches destinées à la compétition, Nidecker a vite été rejoint par une multitude de nouvelles marques. «C’est contre les marques qui viennent du windsurf que nous devons particulièrement lutter, car elles sont déjà établies dans le domaine des sports nautiques.» Aujourd’hui, Nidecker SUP vend plusieurs centaines de planches par année, principalement en Suisse (la marque a pour tradition de ne communiquer aucun chiffre). «Mais nous développons actuellement le secteur export.»
La marque suisse s’est également associée en 2012 au champion hawaïen Laird Hamilton, précurseur de la discipline, pour développer une autre ligne de planches, baptisée Laird SUP et destinée à la pratique en mer. Ces planches se vendent chaque année par milliers, 90% à l’étranger, dont plus de la moitié aux USA.
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«Le stand up paddle a changé notre travail»
Installé sur la plage de Préverenges depuis 1980, le Surfshop a connu une seconde jeunesse avec l’arrivée du stand up paddle.
«En 2008, nous avons commencé avec cinq planches, se souvient Pierre-Yves Mottier, directeur du Surfshop de Préverenges depuis 25 ans. L’année d’après, nous en avions dix, puis quinze, puis quarante. Aujourd’hui, nous en possédons plus de 80 pour pouvoir répondre à la demande!» En quelques années à peine, cette petite entreprise est devenue l’un des plus grands centres de stand up paddle d’Europe, avec une offre de cours, de location et de vente.
Spécialisé depuis ses débuts dans la planche à voile, le Surfshop a bénéficié d’un nouvel élan avec l’arrivée du stand up paddle. «Cela a changé notre travail. Passer de la location de cinq canoës par jour à celle de 80 planches de stand up paddle, c’est un sacré bond. Nous avons notamment dû élargir notre effectif de sécurité et changer tout notre système informatique. Il a fallu une refonte complète de la gestion de la société.» Aujourd’hui, il ne reste plus que deux ou trois écoles de planche à voile sur les bords du Léman, alors que les centres de stand up paddle se multiplient. Une concurrence positive, selon Pierre-Yves Mottier. «Ces petites structures qui se développent un peu partout sont nécessaires pour répondre à la demande.»
Trois employés travaillent au Surfshop toute l’année. Durant la période estivale, Pierre-Yves Mottier emploie une trentaine d’extras. «Lorsque la météo le permet, entre les initiations individuelles et de groupe, nous recevons près de 200 personnes par semaine. Pour la location de planches cela peut monter jusqu’à 300 personnes par jour.»
Intéressé par tous les dérivés de la discipline, Pierre-Yves Mottier a créé avec un ami une pagaie spéciale pour le stand up polo, qu’il a brevetée et baptisée «Wholy Paddle». Afin que son revenu ne dépende pas que du Surfshop, en veille durant la saison froide, Pierre-Yves Mottier a également développé une activité annexe de coaching sportif et en entreprise.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.