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«Nous devons établir le lien avec l’industrie»

Le président de l’EPFL, Patrick Aebischer, explique les impacts de l’éducation sur l’économie. Rencontre.

Quel meilleur interlocuteur que Patrick Aebischer pour évoquer les relations de l’éducation avec l’économie? Le président de l’EPFL, situé à la croisée des chemins, connaît ce sujet mieux que personne. Homme de réseaux, il a tissé de solides connexions avec l’industrie, dans des domaines aussi variés que la pharma, l’ingénierie, la banque ou l’électronique. Sous son règne, de nombreuses firmes de renom se sont installées sur le campus lausannois, à l’image de Nestlé, Logitech, PSA Peugeot Citroën ou Intel. Faut-il y voir une menace pour l’indépendance académique? Ou plutôt une opportunité pour l’EPFL d’accroître sa notoriété globale? Le patron de l’école lausannoise livre sa vision.

La recherche de financement est un enjeu essentiel pour l’EPFL. Comment encourager les dons privés sur le modèle de ce qui existe aux Etats-Unis, où les fameux endowment funds (fonds de dotation) font partie de la culture?
Il s’agit en effet d’une question centrale. Quand j’ai pris la présidence de l’EPFL en 2000, le concept d’un «endowment fund» semblait très exotique. Mais vu la situation économique actuelle, je ne crois pas que l’Etat continuera à financer la croissance des universités à l’avenir. Il faut trouver des sources de financement différentes. La part des fonds de recherche obtenus sur des bases compétitives financés par les Etats ou par de grandes fondations philanthropiques a significativement augmenté. Les contrats de recherche avec l’industrie vont également continuer à se développer. Quant aux frais d’écolage, ils ne vont pas beaucoup augmenter en Europe, pour des raisons culturelles. Créer des «endowment funds» devient donc une nécessité, mais nous ne bénéficions pas de la tradition qui existe aux Etats-Unis. Il faut bien comprendre que pour l’Américain, l’université est une seconde famille. Quand il quitte son foyer vers 17-18 ans, il rejoint un campus où il va passer beaucoup de temps, partager une chambre avec un camarade (le fameux roommate), prendre part à de nombreuses activités sociales. Des liens affectifs très forts se créent qui donnent ensuite lieu à des dons. Pour favoriser les endowments, il faut donc créer de l’émotion. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète d’un jour à l’autre.

Justement, en termes de cadre de vie, les campus suisses sont-ils suffisamment équipés pour concurrencer les grandes universités américaines qui disposent de bâtiments somptueux, de salles de concert, de bars, de restaurants, de nombreux fitness, etc.? Etant donné la concurrence mondialisée entre les écoles, l’EPFL en a-t-elle assez fait de ce point de vue?
Notre démarche va dans ce sens. Mille deux cents de nos étudiants vivent déjà sur le campus. Ils seront certainement plusieurs milliers demain. Il y a quinze ans, l’EPFL était déserte à partir de 18h. Aujourd’hui, il y a encore de la vie la nuit et le week-end. Nous ne sommes certes pas encore au niveau des universités américaines, mais si vous passez sur le campus le soir, cela commence à ressembler à une petite ville, avec des restaurants, des commerces, etc.

Faudrait-il inciter les anciens élèves aux dons par une politique de défiscalisation plus avantageuse?
C’est en effet le cas aux Etats-Unis, alors que ce n’est que très peu possible ici. Il y a néanmoins de plus en plus de personnes qui financent des projets de façon récurrente (chaires d’enseignement et de recherche, bâtiments etc.). Il faut que le donateur puisse constater que ses dons ont un impact. Cela nécessite que les universités s’occupent des donateurs. A cette fin, nous avons récemment créé un «development office» à l’EPFL.

Des gens ont critiqué cette approche mercantile et commerciale. Ils vous reprochent de chercher des fonds privés et de tisser des liens trop proches avec les entreprises. Que leur répondez-vous?
Il faut distinguer le pur mécénat qui pose peu de problèmes du sponsoring de type industriel. Pour ce dernier cas de figure, c’est une saine discussion à mener. Mais penser que nos professeurs vont faire ce que leur demandent les industriels est absurde. Les entreprises ne nous contactent pas pour cela. Elles redoutent avant toute chose le «syndrome Kodak», autrement dit l’avènement d’une technologie disruptive qui ruinerait leur modèle économique. Aucun patron n’est jamais venu dans mon bureau pour essayer d’exercer une influence. Au contraire, les industriels veulent savoir où va la technologie et voient en nous des senseurs de domaines émergents.

Concrètement, les industriels obtiennent-ils ce type d’informations? Ont-ils accès à vos recherches?
Ils vont pouvoir discuter avec les meilleurs professeurs et chercheurs, qui eux-mêmes ont leurs propres réseaux mondiaux. Car ces chercheurs de pointe sont généralement employés dans des institutions académiques. Il est rarissime qu’ils fassent carrière dans l’industrie. Quand la multinationale Nestlé a mis en place son Institute of Health Sciences, elle est venue s’installer sur le campus de l’EPFL alors que son centre de recherche se trouve à moins de 10 kilomètres. Le prestige académique permet d’attirer les talents.

Cela étant, les grandes entreprises américaines commencent à développer elles-mêmes leurs propres programmes universitaires, à l’instar de Google. N’assiste-t-on pas à une emprise des milieux industriels sur la formation et la recherche?
Les géants tels que Google développent en effet des savoirs totalement différents de leur modèle économique d’origine. Ces entreprises ont tellement de moyens qu’elles peuvent se le permettre. Dans le domaine du machine learning (l’apprentissage automatique, un des champs d’étude de l’intelligence artificielle, ndlr), il est effectivement très difficile pour nous d’attirer des talents car les meilleurs veulent aujourd’hui faire de la recherche directement chez Google.

Il s’agit donc d’une nouvelle concurrence pour vous…
Google ne va probablement pas se mettre à dispenser des formations de base comparables à celles des universités. En revanche, dans certains domaines spécifiques, il y a effectivement un défi, que je trouve personnellement intéressant. Et si Google se met à faire des Moocs, il peut concurrencer les universités sur leur terrain. Voilà une vraie question, plus essentielle selon moi que celle, souvent posée par les médias, du possible conflit d’intérêts pour les universités à tisser des partenariats avec le secteur privé.

Les médias ne sont pas les seuls à réagir. Beaucoup d’universitaires se posent cette question. Les petites universités cantonales, qui ont moins de moyens que l’EPFL, critiquent parfois cette tendance.
Il y a différentes typologies d’universités… Pour des raisons de coûts, il n’est pas possible de disposer de plus d’une ou deux universités de pointe par pays. En ce sens, la Suisse est une exception. Regardez les classements et vous constaterez que trois critères doivent être réunis pour figurer dans les meilleures universités mondiales: 10’000 étudiants, 500 laboratoires et 1 milliard de budget. Dans le top 30, toutes les universités remplissent ces conditions. Il s’agit d’une masse critique indispensable. Bien sûr, certaines universités peuvent se distinguer dans des secteurs de niche, mais elles n’atteindront pas une notoriété mondiale. Le problème de l’Europe, c’est qu’elle n’a pas de grandes marques, excepté Oxford et Cambridge. L’EPFL est une marque montante, mais pas aussi reconnue que le MIT ou Stanford.

Est-ce que vous vous donnez comme objectif de créer une marque mondiale?
Bien sûr, c’est vital pour que nous puissions attirer les meilleurs talents. En ce qui concerne les professeurs, nous sommes déjà au niveau des meilleures universités américaines, mais ce n’est pas encore le cas pour les étudiants. Les meilleurs étudiants chinois ou indiens rêvent d’étudier aux Etats-Unis, pas encore en Europe. Les MOOCs peuvent nous permettre d’inverser cette situation, de même que les start-up que nous créons. C’est cet ensemble d’atouts qui crée une marque. Stanford, ce n’est pas juste l’excellence académique, c’est aussi là que Google, Yahoo! et d’autres sont nés.

Les soutiens de l’EPFL sont souvent des anciens étudiants ou des entreprises locales impliquées dans des projets de recherche. Ne faudrait-il pas étendre plus globalement votre réseau?
En plus des fleurons de l’industrie suisse tels que Nestlé, Credit Suisse, Logitech, des compagnies étrangères telles que Cisco, Intel, PSA, Nitto Denko, ViaSat ou Constellium se sont installées dans notre quartier de l’innovation. Et j’ai récemment reçu le président de Google, Eric Schmidt, qui m’avait contacté pour visiter l’EPFL. Cela montre que la notoriété de notre école progresse.

On comprend l’intérêt pour les grandes entreprises privées de se rapprocher de l’EPFL. Que vous apportent ces entreprises en retour, en dehors de leur soutien financier?
Beaucoup de choses, notamment un regard aiguisé sur les problématiques industrielles à résoudre. Prenons l’exemple du Strategic Advisory Board. Vous avez là des chefs d’entreprise, souvent des anciens de l’EPFL, qui n’hésitent pas à nous challenger lorsqu’on leur présente nos choix stratégiques. Leur expérience se révèle extrêmement précieuse. Ces gens sont aussi de formidables ambassadeurs mondiaux pour l’EPFL. Leur apport ne se limite de loin pas à l’argent.

Vous siégez dans les conseils d’administration de Lonza et de Nestlé. Vous êtes également président du Novartis Venture Funds. Que vous apportent ces mandats?
Aider les compagnies globales suisses, telles Nestlé, Novartis, Sicpa ou Kudelski, est aussi de notre responsabilité. D’abord en formant les étudiants qui répondent à leurs besoins mais aussi en anticipant les changements technologiques. Nous devons établir ce lien avec l’industrie, qui permet de créer de la richesse. Les conflits d’intérêts que l’on me reproche parfois, cela se gère. Quelqu’un qui n’a aucun conflit d’intérêts devrait se poser la question de son utilité.

Est-ce que ces critiques vous agacent?
Je trouve bien que les gens se posent des questions et que ce débat ait lieu. Et il est très sain qu’il existe des garde-fous. En ce qui me concerne, j’ai toujours assumé mes interactions avec le monde industriel. Et je reverse à l’EPFL la part de mes rémunérations au-dessus du plafond établi par la Confédération. Ces liens entre académie et industrie ne sont pas uniques; ils sont par exemple très présents dans une région comme la Silicon Valley.

Quel est l’avantage comparatif de la Suisse romande dans un monde si globalisé?
En Suisse occidentale, notre force réside dans la maîtrise des objets petits, complexes et fiables. Les gadgets jetables fabriqués à grande échelle, ce n’est pas notre truc. Nous pouvons sortir du lot dans des domaines tels que les «wearables» connectées, les implants médicaux intelligents ou la médecine personnalisée. Nous assistons actuellement à une convergence entre les sciences de l’information, les nanotechnologies, les biotechnologies et les sciences cognitives. Voyez par exemple le partenariat de Google avec Novartis concernant la lentille qui mesure le glucose, c’est vraiment l’expression de cette convergence. Un deuxième avantage compétitif réside dans le développement des humanités digitales. Le vrai challenge du XXIe siècle est de donner du sens à la technologie. En cela, les valeurs européennes ont beaucoup à apporter.
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«Grâce à nos MOOCs, nous disposons aujourd’hui d’une présence mondiale»

Les cours en ligne de l’EPFL ont déjà séduit plus de 800’000 personnes à travers le globe. L’école bénéficie d’un net leadership dans les pays francophones.

En tant qu’ardent défenseur des MOOCs (massive online open courses), vous avez positionné dès 2012 l’EPFL comme l’une des universités pionnières dans ce domaine en Europe. Des critiques pointent aujourd’hui le fait que seuls 10% des inscrits terminent ce type de formations. Etes-vous toujours aussi enthousiaste?
Absolument. Près de 800’000 personnes dans le monde se sont déjà inscrites à nos MOOCs. Environ 10% d’entre elles terminent ces cours et environ 50% s’arrêtent à mi-parcours, ce qui est déjà pas mal étant donné leur nombre. Après tout, ces gens ont appris des choses! On peut comparer la manière de suivre un MOOC à la lecture d’un journal, dont on lit rarement l’intégralité. Nous proposerons environ une cinquantaine de formations de ce type d’ici à la fin de l’année. C’est bien plus qu’un effet de mode. Et les universités pionnières vont bénéficier d’un énorme avantage. Pour l’image de marque de l’EPFL, le fait que près de 800’000 personnes dans le monde se soient intéressées à nos MOOCs représente un gain de notoriété énorme, moyennant un investissement minime. Pour la première fois de son histoire, l’EPFL a une audience mondiale. En observant la carte des adresses IP des gens inscrits, nous constatons une présence sur tous les continents.

Qui s’inscrit aux MOOCs de l’EPFL?
Principalement trois populations: les étudiants en formation tertiaire, dont nos étudiants, les personnes qui désirent suivre une formation continue, enfin des gens tout simplement curieux d’esprit. En ce qui concerne nos étudiants, notre ambition est d’offrir prochainement l’ensemble des cours de première année en ligne. Une telle offre a des conséquences sur le type d’enseignement prodigué par nos enseignants. Ils doivent adapter leur enseignement présentiel en le rendant beaucoup plus interactif s’ils ne veulent pas se trouver devant des auditoires quasi vides. Après le règne des cours ex-cathedra, on revient à une forme d’apprentissage plus naturelle, favorisant les interactions. Je trouve cela extrêmement intéressant.

En comparaison internationale, à quel niveau situez-vous la qualité des MOOCs de l’EPFL?
Franchement et en toute immodestie, nous faisons partie des trois ou quatre meilleurs au monde.

En quoi vos MOOCs sont-ils meilleurs que ceux de la concurrence?
L’avantage donné aux pionniers mais également, le soin apporté aux cours, la qualité des professeurs… La langue est également un paramètre intéressant. Nous sommes la seule université à proposer des MOOCs en deux langues, français et anglais. Cela nous place en première position, et de loin, dans les pays francophones, et notamment les pays africains. Nous possédons plus de 50% du marché des MOOCs en français. Or, la francophonie représentera 750 millions de personnes en 2050.

La gratuité, concept original des MOOCS, tend à laisser place à des modèles payants. Est-ce une voie à suivre pour l’EPFL?
Les cours sont et doivent rester gratuits. La tendance actuelle est de faire payer la certification et l’attribution de diplômes. Certains cours aux Etats-Unis utilisent déjà ce modèle. C’est le cas d’une offre de MOOCs sur le «big data» de l’Université de Princeton, qui génère entre 500’000 à 700’000 dollars par mois. Et cela sur une seule spécialisation. Nous pourrions obtenir des résultats similaires dans des domaines très spécifiques, par exemple avec notre MOOC sur Scala (un langage de programmation inventé à l’EPFL, ndlr), dispensé par son créateur Martin Odersky.

Quelle valeur accorder à ces certificats sur le marché du travail? Les MOOCs peuvent-ils remplacer des formations traditionnelles?
C’est le marché qui en décidera. Mais on voit de plus en plus de grandes compagnies de la Silicon Valley offrir de telles formations continues à leurs employés. Et dans les CV que l’on reçoit figurent toujours plus de mentions des MOOCs suivis. Peut-être que les diplômes dans leur forme actuelle seront à l’avenir remplacés par des cursus beaucoup plus fragmentés. Ce qui est sûr, c’est que que les MOOCs ou leurs successeurs auront un impact majeur. Les grandes universités d’Europe (Oxford et Cambridge) se sont d’abord montrées un peu sceptiques, mais elles se rendent compte aujourd’hui qu’elles ont pris du retard et essayent de le rattraper rapidement. La vague des MOOCs aura aussi comme effet de redistribuer le classement des institutions. Auparavant, il fallait des dizaines d’années pour installer une marque. Désormais, la notoriété peut s’acquérir beaucoup plus rapidement pour une université.
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Chercheur et leader

Le président de l’EPFL, médecin de formation, concilie deux qualités souvent antinomiques, la méticulosité du chercheur et l’énergie de l’homme d’action. Chose extrêmement rare à ce type de poste, Patrick Aebischer n’a en effet jamais cessé ses activités de recherche en neurosciences, ses nombreuses publications figurant parmi les références les plus citées du domaine. Dans la récente biographie dithyrambique du personnage rédigée par le journaliste scientifique Fabrice Delaye, les qualificatifs élogieux émanant des proches d’Aebischer abondent: visionnaire, créatif, figure héroïque, force vitale, personnalité légendaire sur le campus… Depuis l’arrivée du Fribourgeois à la présidence de l’école en 2000, tous les indicateurs ont quasiment doublé, du budget au nombre d’étudiants.

Patrick Aebischer a auparavant travaillé comme professeur et directeur de recherche aux Etats-Unis, à l’Université Brown de Providence (Rhode Island), de 1984 à 1992, puis comme professeur et directeur du Centre de thérapie génique du CHUV, jusqu’en 1999. En dehors de la science, il se passionne pour la poésie et la culture, sous l’influence de ses parents artistes. Il est marié depuis l’âge de 20 ans et père de deux enfants.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (2015, no2).