LATITUDES

Les femmes et les enfants d’abord?

Les hommes ne se comportent pas tous comme Leonardo Di Caprio sur le Titanic. «Snow Therapy», un film suédois, vient très subtilement le rappeler avec son «héros» qui sauve prioritairement sa peau. Un regard vivifiant sur la masculinité.

Dans cette station des Alpes françaises, les pistes sont de vrais boulevards. Ça glisse pour cette famille suédoise venue passer ses vacances dans ce décor de carte postale. Le soleil brille, la neige scintille, pas la moindre anicroche. Du moins le premier jour! Nous voici embarqués dans «Snow Therapy», le film de Ruben Östlund, mercredi sur les écrans romands.

Le lendemain, Monsieur, Madame et les deux enfants mangent sur la terrasse panoramique d’un restaurant d’altitude quand une avalanche se déclenche sur la pente qui leur fait face. L’occasion rêvée de sortir son iPhone pour immortaliser ce spectacle à couper le souffle. «Pas de panique, elle est sous contrôle», rassure le père. L’est-elle vraiment alors que, de toute évidence, elle se dirige sur les tablées? Cris de frayeurs des clients, effroi, sauve-qui-peut. Un nuage de poussière neigeuse envahit les lieux. Quel cauchemar! Ebba, la mère, essaye de protéger ses enfants alors que Tomas saisit ses gants et son iPad et s’enfuit à toutes jambes.

Miraculeusement, la masse de poudreuse s’arrête au pied de la terrasse, sans victime apparente. La vie reprend son cours, on termine le repas interrompu. La famille vient d’échapper à une avalanche mais n’en a pas moins subi une secousse aux dommages encore invisibles.

Pour Madame, rien ne sera plus comme avant. Elle a vu son mari tenter de se sauver sans se soucier de sa progéniture, ni d’elle d’ailleurs. L’accusation de lâcheté est portée le soir-même lors d’un repas avec des amis. Le principal intéressé commence par nier cette interprétation avant de hurler, quelques jours plus tard, en pleurs, la tête entre les mains: «Je suis la victime de mon instinct. Je ne suis pas un héros. J’ai pas réfléchi, j’ai voulu sauver ma peau».

S’ensuit, durant le reste des vacances, dans la sphère du couple et de son entourage, une interrogation sur le rôle de l’homme d’aujourd’hui au sein de la famille. Une avalanche d’échanges, tour à tour grinçants, comiques ou cruels, aux conséquences ravageuses, s’abat sur l’équipe de vacanciers. Une «snow therapy» se déroule sous les yeux médusés des spectateurs et les contraint à s’interroger. Confrontés à une situation de survie, quels seraient nos premiers réflexes?

Östlund s’est inspiré d’une histoire réelle – lors d’une attaque à main armée dans un restaurant, un homme était parti se cacher sans protéger sa femme – et de la réalité statistique selon laquelle de nombreux couples victimes de catastrophes naturelles finissent par divorcer. L’heure est-elle venue de faire son deuil de la chevaleresque phrase «Les femmes et les enfants d’abord»?

Le comportement exemplaire de Leonardo Di Caprio dans «Titanic» a marqué l’imaginaire collectif. Mais la formule consacrée lors des naufrages, l’élan protecteur des hommes envers les femmes et les plus faibles, n’a en réalité pris forme que dans de rares catastrophes. Sur le Titanic, 70% des femmes et des enfants ont été sauvés contre 20% seulement des hommes. Une étude suédoise de Mikael Elinder et Oscar Erixson, de l’université d’Uppsala, portant sur le taux de survie de 15’000 naufragés entre 1852 et 2011, fait état d’une autre exception où des soldats ont laissé leurs places sur les chaloupes aux femmes et aux enfants. C’était en 1852, sur le Birkenhead.

Au cœur même de la catastrophe, il n’y a pas de règles de civilité, nous enseigne le travail de ces chercheurs. Les deux exemples du Titanic et du Birkenhead sont les seuls où la mortalité des femmes a été plus faible que celle des hommes. Dans les cas étudiés, 37% des hommes naufragés ont survécu tandis que le score n’atteint que 27% pour les femmes. Pour les enfants, il plonge à 15%. En revanche, les marins peuvent se rassurer, 61% de l’équipage a été sauvé tout comme 56% des capitaines. Dans un bateau, mieux vaut être un homme et de préférence membre de l’équipage. L’instinct de survie est seul maître à bord, conclut l’étude.

Il n’en va pas différemment sur terre. En cas de catastrophe naturelle ou de conflit armé, les femmes et les enfants ne sont pas sauvés prioritairement mais en sont les premières victimes. L’injonction rendue célèbre avec le Titanic a été jetée par-dessus bord pour se muer en une boutade lancée par le passager d’un car qui doit être évacué de toute urgence, à la fin de «Snow Therapy».