Toujours plus de bactéries développent des multirésistances aux antibiotiques. Les chercheurs poursuivent de nouvelles stratégies pour éviter la résurgence de maladies que l’on imaginait faciles à guérir.
Il y a seulement deux siècles, la tuberculose tuait une personne sur cinq en Europe. Il n’y avait pas de traitement. Pour limiter la contagion, les malades étaient mis en quarantaine, où ils attendaient une mort pénible et lente.
La «peste blanche» pourrait bien faire un retour aujourd’hui. Les souches de tuberculose qui résistent aux principaux antibiotiques de notre arsenal sont légion: plus de 70’000 cas ont été rapportés en Europe en 2012.
Et la tuberculose n’est pas la seule concernée. De plus en plus de bactéries sont devenues résistantes aux médicaments développés pour les traiter. Des maladies courantes telles que la pneumonie et la gastro-entérite pourraient devenir difficiles à traiter et des procédures classiques comme le remplacement de la hanche ou la chimiothérapie deviendraient trop risquées. Même des plaies mineures pourraient engendrer une septicémie fatale. «Nous entrons dans une ère post-antibiotiques, où de petites égratignures ou échardes pourraient vous tuer, craint Mikael Lenz Strube, biotechnologiste à la Danmarks Tekniske Universitet (DTU). Nous devons impérativement trouver des solutions.»
Que faire? Tout d’abord, les antibiotiques encore efficaces devraient être prescrits avec bien plus de parcimonie, et les patients devraient observer le traitement à la lettre, car prendre un antibiotique en dose trop faible ou trop peu de temps est l’une des causes majeures du développement de résistances.
En parallèle, le développement d’antibiotiques a été abandonné par de nombreuses entreprises pharmaceutiques, car jugé non rentable. Alors que 18 grands laboratoires y travaillaient en 1990, seuls cinq le faisaient en 2011. L’OMS cherche des moyens de les encourager, par exemple en les payant directement pour chaque nouveau médicament. Les gouvernements prennent également conscience de l’importance de combler le vide de la R&D privée par des fonds publics.
C’est la raison de l’intérêt porté aux nouvelles stratégies contre les infections bactériennes. Voici cinq approches parmi les plus prometteuses qui vont plus loin que les antibiotiques classiques.
1. Dynamiser les antibiotiques
Pourquoi inventer de nouveaux antibiotiques quand on peut faire revivre les anciens? C’est le principe des inhibiteurs de pompes à efflux, «un domaine très prometteur», selon Laura Piddock, microbiologiste à l’Université de Birmingham.
Les bactéries développent souvent une résistance aux antibiotiques en boutant ceux-ci hors de leurs cellules à l’aide d’une pompe moléculaire située dans leur membrane. Les inhibiteurs d’efflux bloquent l’action de ces pompes, ce qui rend à l’antibiotique son efficacité.
2. Eviter les résistances
Quelles que soient les précautions prises avec les antibiotiques, l’évolution rend inévitable le développement de résistances. En présence d’un médicament qui tue les bactéries, toute mutation qui survit se propage rapidement.
Les chercheurs s’intéressent à des médicaments basés sur des mécanismes totalement différents: ils ne tuent pas les bactéries mais les rendent moins mortelles, ce qui ne devrait, en principe, pas générer de résistance.
De nombreuses bactéries pathogènes ont deux visages. Présentes en petits nombres chez leurs hôtes humains, elles sont bénignes. Mais en nombre suffisant, elles fabriquent des agressines, des composés qui attaquent les cellules et affaiblissent les défenses immunitaires.
Ces germes utilisent des molécules de signalisation spéciales, les «détecteurs de quorum», pour savoir lorsqu’elles sont en nombre suffisant. Les médicaments capables de bloquer ces molécules empêcheraient les bactéries de devenir virulentes et, comme ils ne tuent pas les bactéries, ils ne devraient pas favoriser la résistance. Paul Williams de l’Université de Nottingham développe des agents qui bloquent les molécules du quorum fabriquées par les staphylocoques dorés résistants à la méthicilline.
Certains médicaments cibleraient d’autres composants de la cascade de la virulence. L’équipe de John Mekalanos de l’Université Harvard a, par exemple, développé un composé appelé «virstatine» qui empêche le vibrion cholérique de fabriquer une toxine clé.
3. Profiter des tricheurs
Demandez à n’importe quel économiste: tout groupe de travail comprend en général des «tricheurs», qui essaient de récolter les bénéfices sans fournir le travail. Les microbiologistes ont découvert récemment que cette stratégie concerne également les bactéries.
Certains membres d’une population bactérienne ne fabriquent pas d’agressines, une opération coûteuse en énergie, mais profitent de l’effort des autres. Ce comportement a été observé dans plusieurs types de pathogènes, y compris Pseudomonas aeruginosa, responsable de pneumonies et d’infections des plaies chez les patients hospitalisés.
Dans une boîte de Petri, les bactéries tricheuses peuvent se développer plus rapidement que les bactéries virulentes. Steve Diggle de l’Université de Nottingham étudie si l’introduction délibérée de bactéries tricheuses chez un patient pourrait faire pencher la balance vers elles, et donc vers un rétablissement.
4. Des bactéries amies
Les probiotiques, qui favorisent les «bonnes bactéries» dans notre intestin, nous sont désormais familiers. Leur utilisation par les personnes sous antibiotiques, qui anéantissent une partie de la flore intestinale normale, suscite un intérêt croissant.
L’agriculture pourrait en bénéficier. Les éleveurs avaient coutume d’ajouter de faibles doses d’antibiotiques aux aliments pour animaux, ce qui faisait grossir leur bétail plus rapidement tout en réduisant les infections nocives. Cette pratique a été abandonnée en Europe, car elle favorise le développement de bactéries résistantes susceptibles de s’étendre aux personnes.
Après l’interdiction en 2006, les éleveurs de porcs ont remarqué que davantage d’animaux avaient des diarrhées provoquées par E. coli, en particulier juste après leur sevrage. Une stratégie consiste à utiliser des probiotiques en plaçant des bactéries lactiques dans leurs aliments. Mais Mikael Lenz Strube de DTU pense qu’il sera plus pratique d’utiliser des prébiotiques, des substances alimentaires qui encouragent les bactéries lactiques déjà existantes à se multiplier. Son groupe développe actuellement un prébiotique pour porcs à partir de déchets issus de la fabrication de fécules de pomme de terre. «On peut l’adapter pour qu’il soit aimé des bonnes bactéries, et mal-aimé des mauvaises», explique le chercheur.
5. Les virus à l’aide
On le sait bien: l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Les pires ennemis des bactéries sont les «bactériophages», une large classe de virus qui parasitent et tuent les bactéries.
Les bactériophages ont été découverts dans les eaux du Gange, en Inde, il y a plus de cent ans. Au début du XXe siècle, ils servaient de traitement dans les infections bactériennes, mais ils ont perdu de leur intérêt après l’avènement des antibiotiques.
Des entreprises américaines comme Intralytix (Baltimore) et GangaGen (Palo Alto) se sont intéressées aux phages. L’avantage est que chaque virus attaque une seule espèce de bactéries, au lieu d’éliminer toutes les bactéries, qu’elles soient pathogènes ou non. Ils fonctionnent de plus à faible dose, car leur population n’augmente qu’en présence de leurs bactéries cibles et finit par disparaître en même temps que les bactéries.
Mais les bactéries peuvent aussi devenir résistantes aux phages. Ce n’est pas une raison pour les délaisser, affirme Laura Piddock, mais cela plaide en faveur de l’utilisation de cocktails de phages pour annihiler toute résistance. «Ils doivent être soumis aux mêmes réglementations que les autres médicaments. Nous devons nous assurer de leur innocuité, et qu’ils n’aient pas de conséquences non voulues.»
_______
Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 3).