LATITUDES

Han Han, blogueur chinois superstar

Il écrit des romans, pilote des voitures de course, chante, produit des films et vient d’ouvrir un restaurant. Mais c’est son blog, qui épingle les maux de la Chine d’aujourd’hui, qui lui vaut son immense popularité dans l’empire du Milieu. Portrait.

Toute la jeunesse branchée de la ville se presse au restaurant Nice Meeting You. Ce qui fait la popularité du lieu? Le mobilier design, les baies vitrées vintage et les quesadillas de canard pékinois. Mais surtout l’aura de son propriétaire: Han Han, le blogueur le plus lu au monde.

La page du Shanghaien de 31 ans, également pilote de rallye, écrivain, musicien et producteur de films, totalise plus de 600 millions de visiteurs depuis son lancement en 2006. Chacun de ses billets suscite un tel engouement que le magazine américain «Time» l’a propulsé en 2010 dans les hauteurs de son classement des personnalités les plus influentes.

Dans un paysage médiatique verrouillé, Han Han aborde la corruption, la censure, les inégalités sociales ou encore les ravages de la pollution. «La principale contradiction aujourd’hui en Chine se situe entre l’intelligence croissante de la population et la moralité déclinante des autorités, écrit-il. L’honnêteté des officiels s’effondre, mais aussi leur capacité de jugement et de management, leur maîtrise de la langue chinoise et leurs compétences en situation de crise.»

Il jette aussi un regard acéré sur Shanghai, la ville qui l’a vu grandir, «un paradis pour les aventuriers mais un enfer pour les gens ordinaires», et les écueils de l’urbanisation. Ce qui rend le blogueur unique, c’est son art de manier l’ironie pour donner naissance à des textes souvent très drôles malgré le sérieux de leur objet. En phase avec l’éveil de l’opinion publique dans le pays, cette irrévérence trouve un écho retentissant auprès de la génération née après 1980.

«Han Han incarne les changements qui animent la société chinoise, analyse Jonathan Fenby, auteur de plusieurs ouvrages sur la Chine et cofondateur du bureau de conseil britannique spécialisé dans les pays émergents Trusted Sources. Les jeunes de la classe moyenne le considèrent comme leur porte-parole. Ils sont plus matérialistes que leurs parents, mais aussi plus modernes dans leur manière de penser, se préoccupent de problèmes sociaux, d’environnement ou encore de sécurité alimentaire. Ils veulent pouvoir s’identifier à quelqu’un qui ose remettre le système en cause.»

Han Han fascine aussi par son parcours. «Il casse les stéréotypes et ne se plie pas à la tradition, mentionne, admiratif, Jimmy Gao, jeune journaliste et fan de la première heure. A 17 ans, un âge où le principal objectif pour beaucoup est de finir sa scolarité avec les meilleurs notes, il a décidé de quitter l’école.» Le prodige, né de parents travaillant pour les autorités — sa mère comme assistante sociale, son père pour le journal local du Parti — publie à 18 ans son premier roman, «Les trois portes», le récit d’idylles adolescentes dans un lycée. Un best-seller immédiat qui s’écoulera à plus de 2 millions d’exemplaires et sera suivi par 15 autres ouvrages, dont six romans.

Han Han poursuit un autre de ses rêves, qu’il parvient à financer dans un premier temps grâce à ses revenus littéraires: la course automobile. Il a notamment remporté le Championnat chinois de rallye et participé à des compétitions internationales. Il consacre aujourd’hui une partie de son emploi du temps au cinéma avec la production d’un road-movie sorti sur les écrans chinois cet été. Habile homme d’affaires, Han Han n’oublie pas au passage de capitaliser sa notoriété et son allure de chanteur de boys band qui fait tomber les filles en participant à des campagnes de publicité, entre autres pour Volkswagen et pour Nestlé. Chacune lui rapporte plus de 10 millions de yuan, soit 1,4 million de francs.

Han Han a ses adversaires. Ceux qui honnissent ses attaques, évidemment. Mais aussi ceux qui l’accusent de manquer de tranchant, lui qui ne milite pas activement pour des élections libres et se garde bien d’aborder les sujets qui fâchent vraiment comme le Tibet ou la situation de certains dissidents. Au rang de ses ennemis, on trouve aussi le gouvernement, qui n’hésite pas à bloquer l’accès à ses articles, mais sans porter plus loin les représailles. Serait-ce finalement là que réside son vrai talent, dans son habileté à jouer au chat et à la souris avec les limites de la censure?

«Il est très prudent, souligne le spécialiste de la Chine Jonathan Fenby. Il sait jusqu’où il peut aller.» Face aux demandes trop directes des journalistes étrangers, Han Han réplique dans son blog: «Je ne peux pas répondre à cette question. (…) Une réponse aurait un prix trop élevé, un prix qui n’en vaut pas la peine, du moins pas maintenant. Je ne veux pas mentir, alors je vais juste me taire. Mais n’effacez pas votre question, car elle est bonne. Dites simplement que je n’ai pas osé.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 4 / 2014).