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Amazon et les défis du e-commerce

L’essor fulgurant des achats en ligne impose de nouvelles contraintes logistiques aux entreprises. Les géants du secteur poursuivent un objectif fixe: optimiser, pour réduire les coûts et les délais de livraison.

Envie de nouvelles chaussures? D’un écran plasma? Du dernier iPhone? Une rapide recherche en ligne, quelques clics et le lendemain, la commande sera peut-être déjà là. Depuis le lancement de la librairie d’Amazon au début des années 1990, le commerce sur internet s’est généralisé à quasiment tous les produits imaginables. Le marché mondial a représenté plus d’un millier de milliards de dollars en 2013, selon eMarketer, et progresse rapidement: +18% l’an dernier. En Suisse, les ventes ont atteint 6,25 milliards de francs, pour une croissance de près de 10%, selon l’Association suisse de vente à distance (ASVAD). Un essor qui entraîne d’immenses défis logistiques.

La maîtrise des processus de stockage et de préparation de la marchandise, ainsi que l’étroitesse des délais de livraisons, constituent les deux principaux challenges à surmonter, explique Patrick Kessler, le président de l’ASVAD, un groupement qui représente 80% des e-commerçants de Suisse: «La concurrence impose de livrer toujours plus vite, tout en étant capable d’assurer la disponibilité des produits.»

Les grands cybermarchands ont développé pour cela des solutions intégrées et ultra-optimisées. La référence absolue reste Amazon. Sur le portail du leader mondial du e-commerce, tout s’achète, des produits de beauté aux tableaux de maître, et à des tarifs imbattables. Les envois sont délivrés dans des délais record — moins de 24 h pour les abonnées Premium — et désormais même le dimanche aux Etats-Unis. Pour y parvenir, le groupe fondé par Jeff Bezos s’appuie sur près de 100 entrepôts couvrant chacun des dizaines de milliers de mètres carrés et dans lesquels tout est pensé pour
une efficacité maximale.

«Chaotic storage»

Le concept de «chaotic storage» est à cet égard révélateur: dans les centres de tri de la multinationale américaine, les articles ne sont pas regroupés par catégories comme dans un supermarché, mais de façon purement aléatoire, ce qui a pour effet de réduire le temps de parcours moyen des employés chargés du «picking», et également de gagner de la place en comblant le moindre vide sur les étagères après chaque commande. L’itinéraire des ouvriers, qui préparent plusieurs commandes à la fois, est ensuite calculé par un logiciel. Tout est informatisé grâce aux codes-barres qui figurent sur les produits.

L’informatique est aussi devenue centrale pour la planification des livraisons à des dates fixées par les clients. «Auparavant, les programmes étaient simplement conçus pour pouvoir livrer le plus rapidement possible, indique le chercheur français Bruno Durand, spécialiste de logistique urbaine et du e-commerce. Aujourd’hui, la rapidité n’est plus forcément exigée par les consommateurs, car ils ont compris qu’elle a un coût. En revanche, ils veulent pouvoir recevoir leur commande dans un certain délai, ou à une date donnée. Du côté des vendeurs, il a donc fallu faire évoluer les logiciels. Ikea, au départ, était incapable de livrer un mois après la commande!»

Pour les géants du commerce en ligne, l’optimisation des processus logistiques est d’autant plus importante qu’elle permet d’abaisser les coûts associés, beaucoup plus élevés que pour un magasin classique, surtout lorsque les frais de port sont offerts pour attirer de nouveaux clients, ce qui est courant. «La logistique n’est pas gratuite, rappelle Bruno Durand. Or, les acheteurs en ligne n’aiment pas payer pour le service.» Ces coûts opérationnels difficilement récupérables peuvent expliquer, en tout cas en partie, les cadences de travail très soutenues qu’imposeraient à leurs employés Amazon et d’autres mastodontes de la vente à distance, tels que l’habilleur berlinois Zalando, comme cela leur est régulièrement reproché.

Des critiques qui n’auront peut-être bientôt plus de raison d’être, après l’acquisition en 2012 par Amazon du fabricant de robots américain Kiva Systems: les machines construites par cette firme sont en effet capables d’aller chercher de façon autonome les étagères où sont disposés les produits désirés. En octobre dernier, près de 1’400 automates avaient déjà été déployés par la firme de Jeff Bezos, qui a récemment annoncé vouloir porter ce chiffre à 10’000 d’ici à la fin 2014.

Livraisons par les airs

Amazon veut aussi automatiser les envois. En décembre dernier, le groupe a fait sensation en dévoilant son projet Prime Air. Objectif: livrer les consommateurs en moins de trente minutes avec des drones. Et, par la même occasion, se réapproprier la gestion des envois dans les derniers kilomètres, le fameux «last mile» (lire le complément ci-dessous), où la société doit pour l’instant passer par des prestataires tels que La Poste. Amazon précise que la mise en œuvre commerciale «prendra un certain nombre d’années». Projet réaliste? «On y viendra, estime Bruno Durand. D’autres logisticiens comme DHL ou les services postaux évoquent également cette possibilité. Mais il est encore un peu tôt. En plus de problèmes techniques, il faudra clarifier la question des autorisations de vol.»

Le spécialiste souligne qu’une entreprise comme Amazon, uniquement présente sur internet et développant ses propres systèmes logistiques, constitue une exception dans le e-commerce. «Amazon traite de tels volumes que le groupe a été obligé d’inventer ses propres solutions, puisque rien de tel n’existait auparavant sur le marché.» La majorité des e-commerçants sont de petites sociétés qui effectuent trois ou quatre transactions par jour, ajoute-t-il: «Ces ‹épiciers du web› n’ont pas les moyens de développer une logistique performante et doivent faire appel à des logisticiens externes.»
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La bataille du «last mile»

L’un des aspects les plus complexes à gérer pour les livraisons issues du e-commerce est celui du «dernier kilomètre», soit la partie qui inclut la réception du produit par le client. Contrairement aux envois traditionnels entre professionnels (B2B, «business to business»), le commerce en ligne implique d’acheminer directement les colis vers le grand public (B2C, «business to consumer»), ce qui nécessite une tout autre organisation. «Il s’agit de livrer un seul colis à la fois à des millions de ménages différents, alors que dans le cas du B2B, on fournit en grande quantité quelques milliers de magasins ou autres entreprises seulement», analyse le chercheur français Bruno Durand, spécialiste de logistique urbaine et du e-commerce.

Ce segment est généralement dominé par les services postaux nationaux. En Suisse, La Poste a assuré 83% des envois de colis de moins de 20 kg en 2012, sur un total de 116 millions de paquets, selon la Commission fédérale de la poste. Le reste a été délivré par des privés (coursiers, expressistes tels que DHL ou UPS, etc.). «La difficulté principale consiste à accéder aux destinataires, qui ne sont pas forcément chez eux lors de la livraison», note Bruno Durand. Le taux d’échec à la première tentative varie entre 10 et 40% selon les transporteurs, La Poste étant le plus efficace. «Il faut alors reprendre le colis, le mettre en attente, le délivrer ultérieurement. Tout cela coûte cher.»

Des alternatives à la livraison à domicile existent, à commencer par les points relais, soit des commerces de proximité faisant office de centres de retrait ou de retour de colis. Autre option: faire se déplacer le client. «De plus en plus de cybermarchands offrent la possibilité aux consommateurs de venir chercher eux-mêmes les produits en magasin («click and collect») ou dans un dépôt («drive»)», rapporte Bruno Durand. Une solution avantageuse puisqu’elle permet d’économiser les frais de port. La suprématie de La Poste dans le «dernier kilomètre» pourrait faiblir à l’avenir. «Si le nombre de paquets double, d’autres prestataires vont s’imposer», estime Patrick Kessler, le président de l’Association suisse de vente à distance. Le géant jaune est toutefois très actif puisqu’il prévoit d’augmenter sa capacité de tri de 25% d’ici à 2015 et propose une panoplie d’autres services, dont les consignes automatiques.

Il s’agit de contrer la volonté des grands e-commerçants de s’approprier toute la chaîne de distribution pour faire baisser les coûts et accélérer encore les envois, un phénomène que La Poste dit observer «attentivement». En Suisse, certaines entreprises se passent déjà des services postaux, à l’instar de Coop, qui possède ses propres livreurs pour son supermarché en ligne coop@home. Une stratégie que pourrait être tenté de suivre Amazon? «Pour l’heure, ils n’ont pas de flotte de livraison privée (excepté pour le service d’alimentation Amazon Fresh aux Etats-Unis), constate Bruno Durand. Mais demain, qui sait?»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 3 / 2014).