TECHNOPHILE

La fièvre acheteuse de Google

Le géant du web s’étend dans les secteurs de l’intelligence artificielle et de la robotique. Quel rapport avec son moteur de recherche?

Il semblerait que Google soit bien décidé à connecter tous les objets qui nous entourent. Sinon, pourquoi dépenser des milliards pour prendre le contrôle d’entreprises de pointe dans l’intelligence artificielle et la robotique, deux secteurs destinés à changer l’avenir? Nous apprécions les services du moteur de recherche à leur juste valeur. Mais le moment viendra où Google nous vendra des aspirateurs, des micro-ondes et des lave-linges intelligents. Et ce jour pourrait arriver plus vite qu’on ne se l’imagine.

Aujourd’hui déjà, les systèmes informatiques sont suffisamment intelligents pour interpréter le langage humain ou battre les grands maîtres aux échecs. Naguère encore, leurs capacités reposaient sur des règles préprogrammées qui guidaient la machine dans l’exécution de ces tâches. En revanche des situations plus complexes comme la conduite en milieu urbain, caractérisées par un grand nombre d’événements imprévisibles, sont trop difficiles pour ce type d’algorithmes. La solution? Elaborer des systèmes informatiques capables d’apprendre de façon autonome en analysant des immenses masses de données.

Sur ce plan, l’une des acquisitions récentes de Google pourrait tout changer: la société britannique DeepMind développe des algorithmes conçus pour cette forme d’apprentissage automatique qui mène à une forme d’intelligence artificielle plus avancée. Certaines des stratégies d’apprentissage mises en place vont jusqu’à imiter le fonctionnement des réseaux neuronaux propres au cerveau humain. En 2011, Google s’en est servi pour créer un système indépendant capable de reconnaître des images de chats sur le net. Identifier des chatons vous semble futile? C’est pourtant un excellent moyen de tester l’intelligence artificielle: le système a appris que les traits des félins les identifient comme une espèce particulière.

Tout le monde n’est pas convaincu qu’avec cette stratégie Google se contente d’aspirer à rendre le monde meilleur. Nombre d’experts pensent plutôt que le géant du web cherche à protéger l’activité lucrative de son moteur de recherche. «C’est leur gagne-pain, déclare Mark Bishop, chercheur en informatique cognitive à l’Université de Londres. Google dépend toujours de l’algorithme développé dans les années 1990; même s’il a été optimisé, il peine à comprendre les langages naturels et des phrases construites sur des termes ambigus. Pour devenir plus efficace, Google doit comprendre ce que l’on veut dire plutôt que ce que l’on écrit.» A terme, l’algorithme pourra affiner sa perception des habitudes et des centres d’intérêt des utilisateurs et diffuser des publicités mieux ciblées.

La «machine apprenante» la plus médiatisée de Google est sans conteste la voiture sans chauffeur. Apparue en 2009, la Google Car produit des cartes de son environnement grâce à un système de télémétrie laser et est autorisée à rouler dans quatre Etats américains, ce qui permet à la firme de poursuivre le test de son système en conditions réelles. Si l’objectif affiché est de réduire le nombre d’accidents et d’embouteillages, la Google Car permet également de collecter davantage de données personnelles…

En rachetant l’entreprise Nest Labs, Google s’implante un peu plus dans «l’internet des objets». Nest Labs produit des détecteurs de fumée et des thermostats intelligents qui détectent la présence des habitants. Ils adaptent la température, le taux d’humidité et la luminosité et sont contrôlés à distance par smartphone. La prochaine étape? Répondre automatiquement aux besoins, par exemple en commandant de la nourriture lorsque le frigo se vide. Mais pour Pedro José Marrón, ingénieur informaticien de l’Université de Duisburg-Essen en Allemagne, «ce sont vos données personnelles qui intéressent la société, pas la température de votre salon».

Plus inquiétants sont les premiers pas de Google dans le secteur militaire avec l’acquisition en 2013 de Boston Dynamics. La société a développé un robot quadrupède conçu pour arpenter les champs de bataille (BigDog), un autre capable d’atteindre 45 km/h (Cheetah) ainsi qu’un robot humanoïde de 2 m destiné à des opérations de recherche et de sauvetage (Atlas). Secourir des soldats blessés est une chose, mais que se passerait-il si l’on armait ces robots? C’est en partie grâce au lobbying du Comité international de contrôle des armes robotisées que le Parlement européen a décidé, à une écrasante majorité, d’interdire la mise au point, la production et l’utilisation d’armes entièrement autonomes capables d’attaquer sans intervention humaine.

Google présente ainsi sa mission: «Organiser l’information mondiale et la rendre universellement accessible et utile.» A l’heure où l’entreprise s’introduit dans tous les aspects de la vie quotidienne, beaucoup prient pour qu’elle n’oublie pas son slogan informel: «Don’t be evil.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 1 / 2014).