La fameuse injonction valaisanne à en déboucher une pourrait servir aussi de métaphore. Pour caractériser un débat politique sclérosé par ses propres grands principes.
Beau pays mais sec. On connaît la fameuse injonction, d’AOC plus ou moins valaisanne, pour signifier qu’il serait peut-être temps d’en déboucher une. Cette lapidaire formule ne pourrait-elle pas désormais servir aussi à qualifier la nature profonde du débat politique en Suisse?
Quoi de plus beau par exemple que la fine bataille juridique qui semble s’engager à propos de l’initiative sur l’imposition des successions, lancée par le Parti évangélique et appuyée par les syndicats et le PS? Un texte proposant que soit instauré un impôt fédéral de 20% sur les héritages au delà du double million et sur les donations de plus de 20’000 francs.
Pourquoi pas? Même si l’on s’immisce ici dans la sphère financière sans doute la plus intime qui soit: la volonté quasi animale de laisser son bien à sa progéniture, si possible intact et soustrait à l’appétit des cirons du fisc.
Sauf que cette initiative-là, selon ses opposants, pourrait receler quelques malformations juridiques. Elle tomberait sous le coup d’un des trois motifs d’annulation prévus par la Constitution — le manquement à l’unité de matière — les autres étant le défaut d’unité de forme et le non-respect des accords internationaux.
Beau débat oui, d’abord parce qu’il ne pourrait se tenir dans aucun autre pays au monde — qu’on songe au grand voisin où un roi-président entouré d’une poignée de sbires peut s’octroyer la prérogative de redessiner sur un coin de table, en un petit début de soirée, la carte du territoire. Beau mais sec, parce que l’initiative en question ne concerne qu’une question mineure, interne et portée par un acteur inoffensif — qui a peur du parti évangélique?
Sec, parce qu’il aurait sans doute mieux valu montrer autant de zèle et de minutie quand le jeu en valait la chandelle. Couper les cheveux en quatre lorsque le scalp était de taille. Autrement dit mettre en avant le troisième critère, celui de la conformité avec les accords internationaux, pour tuer dans l’œuf l’initiative de l’UDC sur la libre circulation.
Mais là évidemment il s’agissait de l’épouvantail blochérien devant qui l’on ne semble plus savoir rien faire d’autre que trembler comme des agneaux. Même lorsque ce qui était en jeu, c’était les relations avec l’UE, notre premier partenaire commercial, nous qui échangeons plus avec le Bade-Wurtemberg qu’avec la Chine, l’Inde et le Brésil réunis. Au nom du beau principe de la démocratie directe, c’est la prospérité concrète du pays qui est sèchement mise en péril.
De la même façon, c’est au nom de grands et forts principes que tous les partis, de l’UDC au PS en passant par les Radicaux et les Verts, ont décidé de ne pas soutenir l’initiative du seul PDC sur la famille, suggérant que soient défiscalisées les allocations familiales et de formation professionnelle.
Il y a d’abord la belle volonté de ne pas grever les caisses publiques — il en coûterait un milliard par année. Louable en des temps où les dérives des finances plombent l’avenir de la majeure partie des pays européens. Ensuite cette noble inquiétude: que la mesure profite surtout aux plus favorisés, les revenus les plus bas se situant en dessous du barème assujettissant à l’impôt fédéral direct. Difficile en effet de défiscaliser ce qui ne l’est pas. Ce qui a fait dire à la très sage Eveline Widmer-Schlumpf qu’en l’espèce les «allégements d’impôts les plus conséquents iraient à ceux qui en ont le moins besoin».
Bref c’est au nom de la bonne gestion et de la justice que les familles se retrouveront, comme elles en ont l’habitude, privées du moindre coup de pouce. Beau mais sec.