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Ces clients qui se croient tout permis avec leurs fournisseurs

On connaît le harcèlement professionnel, mais on le croit limité à l’intérieur des entreprises. Faux, il existe aussi entre les clients et les sous-traitants. Exemples en Suisse romande.

L’affaire se déroule durant les fêtes de fin d’année, comme le rappelle un arrêt du Tribunal fédéral: employée dans le canton de Genève, «B.» assiste à un déjeuner d’affaires avec son directeur et un client régulier. De retour dans les locaux de l’entreprise, la jeune femme se retrouve seule dans son bureau avec le client. L’homme se livre alors à des attouchements auxquels, selon l’arrêt, elle rétorque «en disant clairement non».

Le client ne tient pas compte de son refus et se fait de plus en plus entreprenant. Prise de panique, «B.» appelle son directeur au secours. Ce dernier, qui avait laissé entendre quelque temps auparavant qu’elle «intéressait» le client, n’intervient pas et se contente de dire: «Faites comme si je n’étais pas là.» alors que le client continue malgré ses cris, elle finit par lui attraper le poignet et réussit à lui faire lâcher prise. Il s’excuse alors, lui disant qu’il la trouve — toujours selon l’arrêt du Tribunal fédéral — «bandante» (sic).

Même s’il ne prend pas toujours une forme aussi ostensible que dans cette affaire, le harcèlement au travail n’est de loin pas limité au fonctionnement interne de l’entreprise. Avec une sous-traitance qui se développe toujours plus dans une économie dominée par le secteur des services, les relations entre employés et clients peuvent elles aussi être entachées de fortes pressions, psychologiques voire sexuelles comme dans l’exemple de «B.».

«Virée par mon client»

Employée genevoise dans le domaine de la communication, Dominique (prénom fictif) a, de son côté, subi le harcèlement moral répété d’un client de son entreprise: «Il m’imposait des délais impossibles à suivre. Peu à peu, il est passé de la pression sur le travail à la pression sur ma personnalité. Je me sentais de moins en moins sûre de moi face aux critiques, et me demandais si j’étais vraiment aussi bête qu’il me le faisait sentir… J’ai été contrainte de me réorienter dans l’entreprise. D’une certaine manière, on peut dire que je me suis fait virer par mon client.»

Pour Rémy Wyler, avocat spécialisé en droit du travail chez CBWM & associés à Lausanne, les cas de harcèlements entre clients et fournisseurs constituent un «tout nouveau terrain juridique, qui reste à défricher». Le mobbing lui-même n’est catégorisé juridiquement que depuis quinze ans, rappelle l’expert: «Il s’agit d’un harcèlement moral qui présente une intensité et un caractère répétitif, de nature à exclure quelqu’un ou à le pousser à la démission.»

Au regard de la loi, le mobbing est limité aux relations entre employeurs et employés, car il sous-entend un rapport de dépendance, tant juridique qu’économique, entre le harceleur et la personne lésée. Dans le cas des relations entre clients et fournisseurs, point de dépendance juridique, contrairement au contrat de travail liant l’employeur et l’employé. «Si un maître d’ouvrage confie la réalisation d’une cuisine à un carreleur indépendant, il n’a pas la même obligation de protection de la personnalité que s’il était son employeur», précise Rémy Wyler.

Cela n’empêche pas le harcèlement. Et selon l’avocat, une situation de forte dépendance économique pourrait suffire à justifier une action en justice. «Il est possible qu’une personne économiquement dépendante d’une autre, comme dans le cas d’une relation client-fournisseur, puisse être lésée suite à un harcèlement, par exemple en subissant une dépression nerveuse, et demande réparation.»

Eviter de trop se lier

La question de la dépendance économique est centrale, insiste l’avocat. «La situation sera très différente entre un architecte indépendant qui se fait harceler par son principal client, ou un architecte qui compte plusieurs clients importants à parts égales, et peut se permettre de mettre un terme au contrat de celui qui lui ferait subir des pressions excessives.» L’autre critère important du harcèlement est sa fréquence: «On ne peut pas s’en prévaloir dans le cas d’un client furibond qui agresse verbalement un employé dans un grand magasin.»

Directeur d’un bureau de conseil en ressources humaines portant son nom et actif dans toute la Suisse, Angelo Vicario a observé des cas d’abus exercés par des clients tyranniques sur des fournisseurs. Pour lui, certains clients sont gagnés par un sentiment de toute-puissance et de domination qui entraîne des dérives. «Un de nos clients nous a sommés de refaire un mandat gratuitement, ce qui était tout à fait injuste. Nous avons refusé. Et nous avons bien fait, car la vie est une roue qui tourne. Un an plus tard, cette personne a été licenciée et a même fini par postuler chez nous!» Selon son expérience, c’est aussi en fonction de l’attitude de la personne lésée que le harceleur va insister ou s’arrêter. «En cas de problème, mieux vaut ne pas se laisser faire, au risque de perdre le client, que subir des répercussions à long terme sur l’ensemble de ses activités.»

Les victimes de harcèlement sexuel ou psychologique sont malheureusement souvent des personnes déjà affaiblies émotionnellement, relève Angelo Vicario. «On tire sur l’ambulance. Et on s’attaque au petit plutôt qu’au gros fournisseur.»

La responsabilité de l’employeur

A en croire l’expert, les très petites structures ou les indépendants sont particulièrement exposés à des actes abusifs, dans un contexte général de pression sur les délais et de concurrence toujours plus forte. «Parfois leur chiffre d’affaires dépend à 40% d’un seul grand client. Et dans le jardinage, l’électroménager, le bâtiment, la grande distribution ou encore l’imprimerie, on n’est pas dans le monde d’Alice au pays des merveilles! C’est souvent la jungle, avec des nouveaux arrivants prêts à se soumettre à n’importe quelles conditions de travail pour obtenir des mandats, y compris à fermer les yeux sur l’attitude des clients.»

Et plutôt que d’Alice, il faudrait parfois parler de Dr Jekyll et Mr Hyde, ajoute Angelo Vicario. «Certains clients, qui n’ont pas le pouvoir dans leur entreprise, ont un comportement à géométrie variable: ils vont harceler le petit employé du fournisseur, mais être tout miel avec leur supérieur. C’est inadmissible.» Dans ce cas, l’employeur a une forte responsabilité, puisque c’est lui qui est chargé de veiller à la protection de la personnalité de ses employés, selon l’art 328 du Code des obligations. Y compris lorsque ces derniers se font maltraiter par des clients et non les collègues. Le Tribunal fédéral ne dit pas autre chose dans son arrêt sur le harcèlement sexuel subi par «B.». Le directeur de la jeune femme a perdu son poste suite à l’affaire.

Chez Promotion Santé Suisse, Lukas Weber, coresponsable du domaine santé psychique, reconnaît que le travail avec des clients peut se muer en facteur de stress important, et pose de plus en plus de problèmes: «Ceux-ci viennent en particulier de ce que l’on nomme la «dissonance émotionnelle». Quand on travaille avec un client, il faut toujours montrer une émotion positive. Un conflit entre ce que l’on pense et ce que l’on doit montrer peut alors survenir, et entraîner des dommages moraux. En outre, avec cette attitude, le client peut croire que tout lui est permis.»

Les chiffres du Seco, dont la dernière étude remonte à 2010, ne sont guère rassurants: 8% des employés interrogés à cette occasion ont déclaré avoir été personnellement confrontés, au cours des douze derniers mois, à des situations de harcèlement moral ou d’intimidations. Un taux qui a doublé par rapport à la même étude réalisée huit ans plus tôt.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.