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Le syndrome Wawrinka

Entre une affaire de corruption à la Confédération, un loup défendu par des montagnards et le ski qui n’a plus la cote auprès des politiques, la Suisse n’est plus ce qu’elle était. Comme son nouveau sportif fétiche.

Oui, il y a de la corruption en Suisse, et non le loup n’est plus le pestiféré de nos alpages. Et il y a des jours comme cela où les plus robustes certitudes ont du mou dans les genoux. Dans le même temps, d’ailleurs, une commission sénatoriale, celle de la science, de l’éducation et de la culture, vient de balayer par dix voix contre une la proposition d’un conseiller national bernois d’imposer une journée de ski obligatoire pour les élèves du secondaire.

A ce stade, résumons: la Suisse serait devenu un pays corrompu qui déteste le ski, et dont les montagnards adulent le loup, au point de se cotiser, dans les Grisons, pour mettre à prix la tête d’un présumé braconnier coupable d’avoir abattu un jeune canidé. Sur l’air sans doute de «T’en fais pas mon pt’it loup». Comme si soudain la Suisse n’était plus ce qu’elle était.

Pour justifier en tout cas le choix anti-ski de la commission du Conseil des Etats, sa présidente Géraldine Savary — qui s’est courageusement abstenue — pose, tout schuss, la question: «Pourquoi le ski? Et pas un autre sport? Pourquoi pas le tennis?» La Suisse de Wawrinka, anciennement de Federer, ça vous a certes une autre allure que celle de Défago, anciennement de Collombin. Un sport, le ski, il faut l’admettre, dont l’essentiel du glamour repose désormais sur les blondes épaules de la seule Lara Gut. Une Suisse de plus en plus riche, décontractée et moderne semble, sous les coups de boutoirs de Stan le Superman, dire adieu à une Suisse pauvre, ringarde et montagnarde.

Evidemment en matière de corruption, on la joue petit bras, ayant tout à apprendre, paralysé sans doute par la peur du débutant. Un fonctionnaire du SECO aurait ainsi attribué à des entreprises «des contrats à prix gonflés». En échange de «divers cadeaux», comme «des voyages, des billets annuels VIP pour assister à des matches de foot et du matériel». Des matchs de foot! Encore un sport ringard de pue-la-sueur, indigne de la nouvelle Suisse wawrinesque. Et puis, soyons sérieux, dans les pays vraiment modernes et civilisés, ces affaires-là se traitent à coup de valises pleines de bons gros billets.

Mais surtout, voilà-t-il pas qu’à quelques jours de la votation sur l’initiative de l’UDC contre une immigration supposée massive, cette Suisse corrompue, verte et tennismaniaque se mue à nouveau en petit Etat recroquevillé sur ses peurs ancestrales, les partisans du oui talonnant ceux du non. En tournant cette fois le dos à une modernité faite de globalisation, où la liberté de circulation est ressentie un peu partout désormais comme faisant partie des droits humains élémentaires.

C’est d’autant plus regrettable que dans ce monde où tout bouge, tout court, tout vole, une certaine Suisse parvient là encore à faire mentir les clichés et rendre gorge aux ressassées les plus moisies. Une étude relayée par Le Temps ne nous apprend-elle pas que ce sont «les entreprises qui délocalisent le plus et investissent le plus dans les marchés émergents, qui augmentent l’emploi en Suisse»? Pour cette raison toute bête que «si la production et la vente sont délocalisées, le marché domestique suisse profite d’une demande accrue d’emplois très qualifiés dans diverses tâches administratives». Des emplois qui, évidemment, ne concernent plus les mêmes personnes.

N’empêche, cette Suisse corrompue qui place au rang de ses nouvelles valeurs la défense des grands prédateurs, assure le plein emploi par les délocalisations, et se prend de passion pour un sport d’aristocrates, ne dépare pas un monde où pour la première fois un pape fait la une du mythique magazine Rolling Stone, avec cette accroche: «The times they are a-changin’».