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Du poivre, du vin et de la justice

Les réjouissants enseignements à tirer de l’affaire Giroud, des violences contre la police et des bastons entre collégiens.

D’un côté: «escroquerie et falsification de marchandises» — l’escroquerie en question consistant, comme on sait, à avoir vendu du Fendant pour du Saint-Saph’. De l’autre: «faux dans les titres avec intention de tromper le fisc». Les deux versants vaudois et valaisans de l’affaire Giroud rassemblent donc deux types de chefs d’accusation. Le choix du canton de Vaud comme for juridique au motif réglementaire que c’est l’infraction la plus grave qui doit le déterminer, semble comme dessiner en creux une réjouissante hiérarchie de valeurs.

Il serait ainsi plus grave de faire passer un vin pour un autre que de frauder le fisc. Ce qui pourrait faire croire que nous vivons dans une société à la fois bachique et ultra-libérale. Où la perception de l’impôt se fait comme à regret, la conscience pas tout à fait tranquille. Où chacun sent bien qu’il y a quelque violence à dépouiller le citoyen d’une partie importante des fruits de son travail — lequel citoyen aura bien le droit en retour de louvoyer un peu et de faire la nique à l’ogre administratif et perceveur. La Suisse n’est-elle pas le pays ayant inventé cette judicieuse et très maligne distinction entre évasion et fraude fiscale qui fait enrager nos coléreux voisins?

Une société où, enfin, le pinard est redevenu, à moins qu’il n’ait jamais cessé de l’être, ce liquide sacré et ancestral qui a commencé avec la civilisation et se tarira probablement avec. On ne plaisante donc pas avec le sang de Christ, avec la consolation d’Omar Khayyām, avec la potion magique qu’on distribuait aux soldats avant de monter à l’assaut, avec ce psychotrope légal de tant de belles soirées, avec ce compagnon irremplaçable des meilleurs moments passés à table.

Bien sûr en réalité, et plus prosaïquement, c’est juste que «l’escroquerie et le faux dans les titres sont passibles de 5 ans de privation de liberté au maximum». Alors que le délit fiscal «permet une peine de privation de liberté de 3 ans maximum.» Ce qui ne change rien au fond de l’affaire et montre bien qu’il est plus grave de tromper les gens que de rouler l’Etat dans la farine d’une malice individuelle.

Une autre bouleversante révélation nous est apportée par l’actualité délinquante de ces derniers jours: que le spray au poivre est devenue la nouvelle arme des temps modernes. Maniée avec enthousiasme et la dernière vigueur aussi bien par les forces de l’ordre que par les suppôts du désordre. Le procès de deux jeunes fêtards lausannois — un homme et une femme — a établi que lors de l’interpellation d’un tagueur dans la foule, et face à l’hostilité général, un policier a choisi d’utiliser son spray au poivre pour «créer une zone de sécurité».

C’est là toute la magie du spray au poivre: on s’en sert pour créer quelque chose et c’est son contraire qui se produit. Au lieu d’une zone de sécurité, un déchaînement de violence: jet d’un pavé de huit kilos sur la volaille en déroute, et un agent à terre frappé à coups de pied dans la tête. «J’ai vu rouge», dira la fille cogneuse. «C’était un geste de protection et de rage», plaidera le lanceur de pavé, sans doute pas au courant que depuis mai 68 l’arsenal du parfait petit rebelle avait évolué.

Si l’on en croit les derniers canons de la délinquance idiote, le jeune homme aurait dû répondre au spray au poivre par le spray au poivre. C’est ce qu’a montré la méga rixe entre élèves lausannois et puillerans, qui se affrontés après des injures sur les réseaux sociaux — marque absolue de modernité. Et qui se sont servis principalement de deux armes: le spray au poivre et des marteaux brise-vitres, ces derniers étant sans doute le fait de quelques attardés, nostalgiques des bastons à l’ancienne.

La seule consolation à retenir de cette mégabagarre superidiote, c’est que pour toutes ces têtes vides l’après-midi n’aura pas complètement été perdu: cela leur aura fait un peu d’entraînement et de savoir accumulé pour plus tard, au moment d’embrasser une carrière à la mesure de leurs talents. Comme entrer, qui sait, dans la police.