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Salaire minimum, idéologies maximales

La perspective d’un smic à la sauce helvétique révèle surtout que la droite méprise des patrons que la gauche, elle, respecte. Sans le savoir?

Ils sont donc 400’000 à gagner moins de 4’000 francs par mois. Les trois-quarts d’entre eux — comme c’est curieux, comme c’est étrange, comme c’est bizarre — sont des femmes. Il n’en fallait pas plus pour que les «Zorros» de l’Union syndicale suisse (USS) lancent l’idée, puis l’immanquable initiative qui l’accompagne, d’un salaire minimum fixé à 4’000 francs pour un emploi à temps plein.

On connaît l’argument massue qui s’y oppose: le salaire minimum va agir comme un aimant et une tentation désormais systématique au nivellement vers le bas. Les pourfendeurs du salaire minimum, généralement de droite, nous délivrent donc ce message implicite : les employeurs ne sont généralement que de vils mercantis, d’odieux profiteurs prêts gratter tout ce qu’ils peuvent, jusqu’à rogner les «peanuts» déjà maigrichons consentis à ceux du bas de l’échelle. Les associations patronales, les politiciens de droite nous le claironnent: les patrons sont des salauds.

Plus indulgents, trop indulgents, jusqu’à la naïveté, les gens de gauche, les syndicalistes parient eux au contraire sur le bon vouloir et la gentille nature d’employeurs tous plus bonne pâte les uns que les autres, qui vont tous s’empresser de hisser les damnés de la terre au salaire minimum, sans y rabaisser tous les autres. Le paradoxe veut donc que la droite méprise ceux qu’elle soutient et que la gauche respecte ceux qu’elle combat.

C’est que le salaire minimum, comme peu d’objets, montre la vieille ligne de fracture entre la gauche et la droite: parier sur la bonté ou au contraire la vilenie de la nature humaine. Ce qui réduit l’exercice de la politique à ce joli choix: la naïveté ou le cynisme. Personne bien sûr — du moins on l’espère — ne doute que les larmes de certains crocodiles ne soient sincères, qu’il se s’agit pas toujours de lamentations pour la galerie. Qu’il pourrait parfois être avéré, comme le disait un patron valaisan, qu’un salaire minimum de 4’000 francs obligerait une entreprise soit «à diminuer le salaire de ses meilleurs éléments, soit à réduire ses prestations». Traduction en patois des vallées: hara-kiri.

Bien sûr les expériences à l’étranger ne font pas trop envie, notamment la France qui connaît un salaire minimum depuis…1950. Sauf que certains économistes font remarquer que le smic est financé non par les hauts ou même les moyens salaires, mais par les bas salaires qui tendent tous à se rapprocher du smic. Il s’agit donc certes d’une redistribution, non pas des riches vers les pauvres mais des pauvres vers les très pauvres. Ensuite, les plus grosses augmentations du smic — 1956, 1968, 1981 — ont été à chaque fois suivies d’une dévaluation. Bref, explique Gérard Thoris, maître de conférence à Sciences Po, «ce qu’on avait donné d’une main avec force communication politique, on l’avait partiellement repris de l’autre».

Bref, l’instauration d’un salaire minimum semble appeler quasi automatiquement toute une série d’entourloupes qui le dénaturent. Autant être prévenus. Ces entourloupes ont d’ailleurs déjà débuté en Suisse, avec le coup de pub des hard-discounters Aldi et Lidl annonçant à gros flonflons qu’eux, le smic à 4’000 balles, ils s’y mettaient immédiatement. Les concurrents ont vite fait remarquer que Lidl et Aldi n’’engageaient personne à plein temps, mais avec des horaires empêchant de prendre un autre travail. Le smic à 4’000 dans ces conditions ne reste que cela: un slogan commercial évaporé qui se moque des pauvres.

Bien conscients sans doute que leurs raisons pour promouvoir ou pour refuser le salaire minimum n’ont pas grand-chose de concret et émanent d’idéologies opposées, les uns le déclare «juste» par nature et par principe, les autres le décrètent inopérant à priori — surtout qu’ils sont prêt à tout pour le rendre tel.