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Ces bien-portants qui nous gouvernent

Interdiction de la prostitution, paquet de cigarettes à 14 francs: en route pour un monde de premiers communiants.

«Les lendemains qui chantent finissent toujours par nous laisser sans voix.» Cette boutade d’un personnage fictif — la cuisinière d’Himmler, due à l’imagination de l’écrivain et journaliste français Franz-Olivier Giesbert — pourrait servir de singulière épitaphe. Celle d’un monde où l’on se doutait bien que «pour faire le bonheur des autres il suffit de les laisser tranquilles devant un paysage». On pourrait à la rigueur se passer du paysage: c’est surtout la tranquillité qui est menacée.

C’est que l’homme politique, après avoir vaqué aux tâches principales de l’Etat — liberté, sécurité, prospérité — doit bien encore s’occuper et justifier son existence. Quitte à se mêler de ce qui le regarde peu: nos vies concrètes et quotidiennes de créatures responsables. A se muer donc en moraliste pompeux, en hygiéniste à la triste figure.

On a pu voir ainsi dans la même semaine deux tentations germer du côté de la Berne fédérale: interdire la prostitution et quasi doubler le prix du paquet de cigarettes, pour en faire, à 14 francs, le plus cher du monde, ou pas loin.

Curieusement, ce double débat sans lien immédiat paraît calqué sur celui de la France hollandaise, qui semble s’être fait une spécialité de ce genre de tour de passe-passe: détourner l’attention des faillites économiques et sécuritaires en légiférant avec morgue et grandiloquence sur les comportements privés. Le gouvernement de la République, avec un paquet de clopes à 7 euros, reste néanmoins plus modeste que les gloutons sans scrupules du Conseil fédéral.

Quant au sexe tarifé, pour rester dans l’Hexagone, nul besoin, s’il fallait justifier la prostitution, d’invoquer 343 salauds pas toujours désintéressés ni propres sur eux. On pourra se contenter de citer une icône: la féministe Elisabeth Badinter, qui règle leur compte aux pères-la-vertu en trois coups de cuillère à pot. «Je n’arrive pas à trouver normal qu’on autorise les femmes à se prostituer, mais qu’on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n’est pas cohérent et c’est injuste.» Et d’une.

Interdire de plus «aux indépendantes et aux occasionnelles, qui veulent un complément de ressources, de faire ce qu’elles veulent avec leur corps serait revenir sur un acquis du féminisme qui est la lutte pour la libre disposition de son corps». Et de deux.

Enfin, «l’Etat n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus, à dire ce qui est bien ou mal». Et de trois. Pour ceux qui feindraient de ne pas comprendre, Badinter précise: «Où commence et où finit la prostitution? Combien de femmes ou d’hommes sont en couple pour l’argent? Personne ne songe à aller y voir.» Sans compter que d’entrée, le débat est orienté, partiel, partial. «On ne parle jamais de la prostitution masculine. Il y a aussi une misère sexuelle féminine. Interdire la prostitution aurait des effets catastrophiques.»

Une quarantaine de parlementaires ont pourtant signé chez nous une intervention de la conseillère nationale bernoise Marianne Streiff, du Parti évangélique, souhaitant l’interdiction de la prostitution. Parmi lesquels l’UDC Oskar Freysinger et la socialiste Maria Bernasconi. L’alliance grotesque entre le rigorisme protestant, le catholicisme austro-hongrois — ou plutôt valaiso-autrichien — et le féminisme de grand-maman, devrait suffire à faire peur. A montrer, derrière les bonnes intentions et l’épée brandie du bien, la volonté racornie de vouloir un monde uniforme peuplé de gens en parfaite santé et à la moralité de premiers communiants.

On rappellera, enfin, à propos de la fumée, que les toutes premières campagnes étatiques contre le tabac, autour du concept novateur, génial, culpabilisant et si peu vérifiable de fumée passive, ont été l’œuvre de l’Allemagne nazie. Hitler il est vrai était en avance sur son temps: il était aussi végétarien. Ce qui ne l’a pas empêché d’être vaincu par un triumvirat composé d’un amateur compulsif de gros cigares, d’un fumeur invétéré de pipe et d’un paralytique en chaise.

La méfiance devrait donc être de mise. On commence par vouloir un monde sans fumée ni prostitution, on finit par accoucher d’un monde sans humanité.