LATITUDES

Un dîner au «Rub og Stub», le resto récup de Copenhague

Au restaurant Rub og Stub, des produits initialement destinés à la poubelle délectent les hôtes. Un concept insolite de lutte contre le gaspillage alimentaire. Visite des lieux.

Mon amie est en retard. Je l’attends à Nyhavn, un des endroits les plus touristiques de Copenhague. En une vingtaine de minutes, quatre cyclistes sont venus appuyer leur vélo sur le dossier du banc où je suis assise. Trois hommes et une femme venus plonger leurs mains dans la poubelle voisine.

Mal à l’aise, j’évite de tourner le regard dans leur direction. Pour me donner une contenance, je consulte une carte. «Je peux vous aider?», me demande un jeune homme satisfait d’avoir sauvé un emballage de salade de la destruction. La conversation s’engage avec un interlocuteur dont le look ne s’apparente en rien à celui d’un sans-abris. Il fait partie de «Freegans», ces écumeurs de poubelles, ces glaneurs par éthique et non par nécessité.

Situé à quelques centaines de mètres de plusieurs fast-food, le lieu où nous nous trouvons est particulièrement riche en nourriture gaspillée, explique-t-il au témoin médusé que je suis. Les touristes se délestent ici de leurs portions trop copieuses avant d’embarquer sur les bateaux pour découvrir la ville. Bref, un emplacement stratégique pour un militant anti-gaspi. Réjoui, il m’informe que le gaspillage se retrouve à tous les étages, et que Copenhague compte depuis la mi-septembre un restaurant unique en son genre. Une petite enquête s’impose.

Au Rub og Stub, qui signifie «tout sans exception», on ne fouille pas dans les poubelles de la ville pour s’approvisionner. Sa matière première est composée d’aliments destinés aux poubelles de supermarchés et de diverses entreprises. Ce concept insolite, à but non lucratif, fonctionne avec des volontaires et destine ses bénéfices à des associations humanitaires.

«Nous avons tous travaillé dans des cuisines ou des supermarchés et vu combien de nourriture partait à la poubelle, et nous voulions faire quelque chose», explique Sophie Sales, co-fondatrice de l’établissement. Elle précise: «les aliments sont récupérés avant qu’ils soient jetés à la poubelle. Jamais la nourriture n’est en contact avec d’autres détritus.» De quoi rassurer les clients! Un menu différent est proposé chaque jour: côtes d’agneau, magrets de canard, lasagnes, fricadelles, salade de pâtes… Ici, on ne sait jamais de quoi la carte sera faite.

La démarche proposée dans cet établissement dépasse le simple repas composé d’aliments destinés à être jetés. Elle invite chacun à s’interroger sur le gâchis de nourriture. A l’échelle mondiale, 1,3 milliards de tonnes de produits alimentaires sont gaspillées chaque année, soit un tiers de la production totale.

Un gâchis à 565 milliards d’euros par an

Les causes de ce gaspillage sont multiples. Selon la Commission européenne, l’origine du gaspillage dans les 28 pays de l’UE proviendrait à 42% des ménages, à 39% de l’industrie agroalimentaire, à 14% de la restauration et à 5% des détaillants. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans un rapport sur l’impact écologique du gaspillage alimentaire publié le 11 septembre, note que 54% des pertes sont enregistrées dans les phases de production, de récoltes et de stockage, le reste relevant du gaspillage alimentaire au sens propre, au stade de la préparation, de la distribution ou de la consommation. A l’échelle mondiale, la FAO évalue à 565 milliards d’euros le coût direct de ce gaspillage.

En Suisse, les associations de collecte de denrées alimentaires «Table couvre-toi» et «Table Suisse» recevront 680’000 par an pendant trois ans de la part des grands distributeurs suisses. Celles-ci collectent les denrées alimentaires destinées à la poubelle mais qui sont encore consommables pour les redistribuer aux personnes dans le besoin. En 2012, «Table couvre-toi» a distribué 2450 tonnes de denrées et «Table Suisse» 3674 tonnes.

Chaque année, les Suisses jettent 2 millions de tonnes d’aliments encore consommables. Les ménages sont les plus gros gaspilleurs puisqu’ils sont à l’origine de 45% des aliments jetés. Facile de jeter la pierre aux seules grandes surfaces… Moi, ménagère, je joue un rôle primordial dans la solution à apporter à ce problème.