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Immigration: quand les simplistes répondent aux simplets

La propagande du Conseil fédéral et des milieux économiques paraît presque aussi grossière que l’initiative de l’UDC sur l’immigration qu’elle entend combattre. Au bon peuple de se débrouiller avec ça.

Convaincre un peuple attaché à l’âpre principe des inégalités salariales, sûr de son bon droit de rouler gratuitement sur les autoroutes — ou presque: 11 centimes par jour! — et ravi de discriminer les parents gardant eux-mêmes leurs enfants. Oui, convaincre ce peuple-là que décidément, non, il n’y a pas trop d’étrangers en Suisse, voilà qui devrait s’avérer aussi ardu que de faire boire un âne abstinent.

D’où la légère panique qui s‘empare d’un Conseil fédéral poussé dans le dos par les milieux économiques, à moins de trois mois d’une votation présentée à grands cris comme celle de tous les dangers: l’initiative de l’UDC «contre l’immigration massive», soumise au verdict populaire le 9 février.

Avec le risque sur ce coup-là que l’âne susmentionné se transforme en chameau irresponsable. Scrutin après scrutin, ce peuple impossible n’a-t-il pas fait la preuve de son égoïsme, de son goût pour le calcul d’épicier, de sa tendance à raisonner par l’émotion, ainsi qu’à faire du «bon sens» le summum des capacités humaines?

On aura beau seriner en large et en long, en dialecte zurichois comme en parler romand, que le déficit des naissances et la modestie d’un pays condamné à l’exportation et l’innovation font de l’immigration une solution miracle, un bienfait absolu. Ou que «l’accord sur la libre circulation, en 2002, a coïncidé avec le retour de la croissance économique».

L’homme ne vivant pas que de pourcentages et de graphiques, tout cela risque de paraître irréel et plat comme une statistique. Quant aux coïncidences on pourra toujours les prendre pour ce qu’elles sont: des coïncidences.

D’autant qu’à force de s’entendre égrener des chiffres, le peuple des linottes pourrait bien ne retenir que ceux-là: un solde migratoire annuel de 70’000 personnes et 600’000 nouveaux immigrés venus s’installer en Suisse depuis la libre circulation. En oubliant allégrement celui-ci: qu’en 2012, ces mêmes étrangers ont «versé quelques 22 milliards de primes à l’AVS, mais perçu 15,7 milliards seulement en prestations». Enfin, mourir pour les accords bilatéraux, cela n’a jamais soulevé les foules ni grossi les rangs des candidats au martyr.

Bref le doute s’installe, avec le sentiment qu’il s’agira le 9 février de trancher entre les mauvaises raisons populaires de fermer les frontières et les douteuses motivations de l’économie à les ouvrir toujours plus grandes. Entre la xénophobie instinctive de monsieur et madame tout le monde et la tentation de nos valeureux entrepreneurs de se servir à la louche d’une main d’œuvre bon marché et de spécialistes pointus venus d’ailleurs. Entre la pénurie de logement et le manque d’informaticiens.

Surtout qu’aux solutions simplettes de l’UDC — revenir à un contingentement de l’immigration — le Conseil fédéral semble hélas vouloir répondre par des incantations simplistes. A soutenir par la voix fluette d’un Burkhalter que le choix qui s’offre à la sagacité populaire sera entre «l’ouverture et le déclin». Une sagacité qui pourrait bien voir la chose plutôt comme un absurde arbitrage à prononcer entre la peste et le choléra.

Quant aux effets indésirables de cette immigration prétendument bénie des dieux, Johann Schneider-Ammann a répété comme un mantra que le dumping salarial n’est qu’imagination et mauvaise foi. Qui le croira sur parole? Surtout dans les régions frontalières, et en sachant que, frontalière, c’est toute la Suisse qui l’est un peu, abstraction faite des improbables Uri, Schwyz et Unterwald.

Il ne reste plus guère aux sages qui nous gouvernent — et aux prospères marchands qui leur murmurent à l’oreille — que le pari non pas de Pascal, mais de La Bruyère. A se répéter qu’entre un peuple qui n’a «point d’esprit» mais «un bon fond» et des «grands» qui n’ont «point d’âme» et ne sont que «superficie», il n’y pas «à balancer» ou comme on dirait aujourd’hui, il n’y a pas photo.