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Burqas noires et blancs bonnets

Avec le voile intégral, l’UDC rêve de refaire le coup des minarets. Un combat gagné d’avance.

On voudrait vous parler d’elle, sans la nommer. Il ne sera en effet pas question de la burqa dans le texte d’une future initiative visant à l’interdire, et dont rêvent quelques UDC après le oui tessinois sur le même sujet.

Officiellement, il ne s’agira que d’interdire la dissimulation du visage dans les lieux publics. Les musulmans ne seraient pas visés et ne devraient donc pas se sentir stigmatisés. Pas plus en tout cas que les casseurs cagoulés des manifs altermondialistes et autres hooligans décérébrés hantant les stades de foot.

Ben voyons. Si l’on insiste un peu, on vous concèdera certes qu’éventuellement les porteuses de l’odieuse burqa seraient touchées par la nouvelle législation. Mais ce ne serait évidemment que pour leur bien. Le but étant de «libérer ces femmes de ces prisons mobiles», comme le serine l’UDC Lukas Reimann — on imagine la main sur le cœur et des trémolos dans la voix.

Des femmes qui bien entendu n’ont rien demandé. Et surtout pas à ce Comité d’Egerkingen, composé essentiellement d’UDC, qui avait déjà lancé la ridicule et désastreuse initiative anti-minarets, victorieux mais pathétique combat contre des moulins à vents. Ces gens-là piaffent déjà d’en découdre à nouveau, sous l’étendard d’un humanisme et d’un féminisme de pacotille, où affleurent déjà une islamophobie aussi bien de principe que de circonstance. On sent bien en effet que la question les travaille au profond du ventre et qu’ils savent bien en même temps qu’elle peut rapporter gros, politiquement.

Sauf qu’à la nullité hypocrite des arguments anti-burqa, répond la nullité tout aussi faux cul des pro. L’interdiction serait «liberticide», «orwellienne» et déboucherait sur une farce administrative qui obligerait de poursuivre et de condamner «chasseurs et ornithologues porteurs de cagoules par grand froid, motards, skieurs, jusqu’au fêtard en combinaison de latex intégrale des grandes parades techno». Sans parler bien sûr des inévitables carnavaleux valaisans — ou appenzellois. On tremble pour eux.

Que faire alors? Rien peut-être, ce qui n’est pas toujours la pire solution. Boycotter le débat, refuser la question, ne pas voter, s’abstenir. Puisque entrer dans la danse, débattre, ne pourrait à l’évidence que servir les intérêts de l’UDC. La seule, l’unique raison d’être d’une telle interdiction, sa seule utilité dans un pays où les porteuses de burqa doivent être à peine plus nombreuses que les moutons à cinq pattes ou les veaux sans tête, le candide UDC tessinois Pierre Rusconi l’a énoncé on ne peut plus clairement: «Une telle initiative serait utile au parti pour les élections fédérales de 2015.»

Le piège est là: s’opposer à cette initiative, c’est se condamner, pour le plus grand profit de l’UDC, à défendre l’indéfendable. Nul besoin d’avoir potassé Levinas pour comprendre que le visage est ce qui, dans une apparence d’homme, constitue, proclame et assure l’humanité. La lecture du Matin Dimanche suffit, où Elisabeth Badinter rappelait l’évidence: «Grâce au visage s’établit un lien entre les gens. Le cacher, c’est une rupture du triptyque républicain: non seulement la liberté et l’égalité sont bafouées, mais la fraternité est impossible».

S’abstenir oui, en méditant peut-être sur «l’avènement d’un monde pacifique, dans lequel les êtres humains et les pays bénéficient des mêmes droits et ont tous la même importance». Sur «l’égalité des droits, non seulement entre les personnes, mais aussi les peuples et les nations» et qui est «la pierre angulaire assurant une coexistence pacifique de tous les hommes et de tous les peuples de ce monde». Pour enfin affirmer ceci: «Nous croyons à la diversité de ce monde.»

Et tant pis si c’est du Ueli Maurer dans le texte à la tribune de l’ONU.