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Menétrey, la petite PME qui résiste aux géants

Le dernier fabricant d’ascenseurs de Suisse romande se spécialise dans le sur mesure pour faire face à la concurrence internationale. Portrait.

«A Romont, tout le monde pense que j’ai une vingtaine d’employés sous ma direction. Nous sommes pourtant 138!» Le moins que l’on puisse dire, en rencontrant Yvan Menétrey — représentant de la troisième génération à la tête de l’entreprise qui porte son nom — c’est qu’il privilégie la modestie. Au point que, même dans la Glâne fribourgeoise où l’entreprise est enracinée, personne n’a réellement remarqué la tranquille mais solide croissance du fabricant d’ascenseurs à travers la dernière décennie. Un tour de force, alors même que beaucoup de petits acteurs de ce secteur ont mis la clé sous le paillasson face à la pression des grands groupes internationaux qui dominent le marché, tant mondial que romand, des ascenseurs.

Barbe poivre et sel et sourire permanent aux lèvres, le discret entrepreneur de 60 ans ne tient pas ombrage à ses concitoyens de leur fausse appréciation: «Nul n’est prophète en son pays… En réalité, nous sommes beaucoup mieux connus hors de la région.» Les acteurs de l’immobilier de luxe de l’arc lémanique, tout comme les horlogers de l’arc jurassien, ont sans doute beaucoup moins de mal à estimer la taille réelle d’Ascenseurs Menétrey. Depuis la reconversion de la société, il y a cinq ans, sur le créneau du haut de gamme et du sur mesure, cette clientèle apprécie de plus en plus les services personnalisés et le soin du détail du fabricant fribourgeois.

Montée en gamme

«Sans cette nouvelle stratégie, il aurait été très difficile de survivre. Produire à bas coût des ascenseurs standards relève quasiment de la mission impossible pour une petite structure comme la nôtre.» La rude concurrence dans le secteur met la pression sur les prix: outre les quatre géants dominant historiquement ce marché — Otis, Kone, ThyssenKrupp et les Suisses de Schindler — émerge également une nouvelle concurrence asiatique, par exemple les Japonais de Mitsubishi. «Il y a cinq ans, nous nous sommes rendus compte que nous avions une carte à jouer dans le créneau du sur mesure, car nos concurrents, plus gros, sont aussi moins souples, et parfois moins performants sur ce type bien précis de produits.»

Aujourd’hui, un ascenseur griffé Menétrey démarre à 70’000 francs. Mais les prix peuvent grimper à plusieurs centaines de milliers de francs selon les finitions exigées, le matériau choisi ou le degré de difficulté opérationnelle. Aucune installation ne symbolise mieux la reconversion de Menétrey que l’ascenseur fourni en 2007 à l’horloger Breguet dans son élégante boutique de la Place Vendôme à Paris. Une prouesse technique: «Il a fallu travailler sur des dimensions très étroites dans un immeuble historique. Il y avait aussi le sous-sol fragile, que nous ne pouvions pas toucher pour l’installation.»

Outre les horlogers, la société profite également de la force de l’hôtellerie de luxe en Suisse: «Nous venons de livrer huit ascenseurs avec des portiques en fer forgé à l’Hôtel Mirador Kempinski au Mont Pèlerin.» Migros, client historique de Menétrey, lui a aussi commandé des ascenseurs vitrés panoramiques, l’une des nouvelles spécialités du fabricant. «Les clients ne sont pas forcément dans le créneau du luxe, mais ils peuvent avoir des exigences élevées.» Car le diable est dans le détail: qualité du marbre, électronique performante, finitions soignées, plaques élégantes pour les boutons…

«La société a réussi sa reconversion car elle s’est posée les bonnes questions au bon moment, estime Willy Schorderet, préfet de la Glâne et observateur de longue date de l’évolution de cette entreprise, qui fait parfois figure d’ambassadrice du district. S’ils ont survécu, c’est parce qu’ils ont toujours eu l’envie de se démarquer, comme le montre leur expérience avec Breguet. Mais surtout, ils sont parvenus à tirer avec eux l’ensemble du personnel.»

Le directeur se déplace

Si la stratégie a changé, l’équipe, elle, est en effet restée la même. Une approche très conservatrice, dans un milieu compétitif, qui semble porter ses fruits: le dernier agrandissement de la surface de travail de 4’000 m2 date de 1992… Le changement de créneau s’est donc fait en douceur, sans bouleversement, à l’image de la «gestion douce» menée par son directeur. Celui qui est par ailleurs un artiste-peintre reconnu («à côté des ascenseurs, cela me stabilise!») n’est pas obnubilé par la sacro-sainte croissance. Bien au contraire, il estime aujourd’hui avoir atteint un plafond, avec une production annuelle de 140 ascenseurs. «Aller au-delà, ce serait se disperser. Je ne veux pas grandir davantage.»

La plus grande particularité de l’entreprise reste cependant son système de ventes, pris en charge par une seule personne: son directeur. Quelques employés à l’interne gèrent les commandes, mais Yvan Menétrey est le seul qui se déplace. Un mode de fonctionnement relativement rare dans une société de plus de cent employés: «Aujourd’hui, j’ai visité un chantier à Genève, et les propriétaires étaient surpris de me voir en personne!» Chez l’ascensoriste, la charge administrative est réduite à son strict minimum, pour concentrer toutes les forces dans la production.

Présente essentiellement sur le marché suisse, la PME échappe par ailleurs au couperet du franc fort. «L’appréciation de la devise nous avantage au contraire dans la livraison de fournitures commandées à l’étranger. J’achète beaucoup à l’extérieur, mais j’exporte peu.» Les deux tiers des éléments sont fabriqués dans l’atelier de production de Romont: serrurerie, cabine, cage métallique, commandes électriques. Le tiers restant, importé surtout d’Italie et d’Allemagne, est constitué des portes automatiques et des moteurs.

Débuts dans le transport du foin

La survie de Menétrey Ascenseurs peut aussi s’expliquer par son histoire — un récit familial dans lequel l’acquisition des compétences d’ascensoriste s’est toujours faite en «autodidacte». En 1924, le forgeron Léon Menétrey fonde l’entreprise sur demande, non pas des horlogers ou des hôteliers de luxe, mais des agriculteurs glânois: «Les fermiers de la région avaient besoin de moyens de traction pour le foin. Mon grand-père a alors développé un système de poulies pour les granges, d’abord manuel, mais qui a rapidement été électrifié.»

Bientôt, l’hôpital et les industriels de la Glâne lui commandent aussi des installations de monte-charge de matériel. «Le système de poulies pour le foin était déjà un embryon d’ascenseur, très utile pour les agriculteurs.» C’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que l’entreprise commence à produire des ascenseurs proprement dit pour le transport de personnes — une évolution naturelle, toujours pour suivre un marché en pleine expansion. «Les géants du secteur comme Schindler existaient déjà à l’époque. Mais nous avons figuré parmi les premiers petits acteurs dans la construction d’ascenseurs.»

Relève assurée

De cet héritage, Yvan Menétrey conserve le goût du travail bien fait: «Dans le cas contraire, vous êtes vite repéré et catalogué. Beaucoup de petits acteurs se sont brûlé les ailes, car ils n’avaient pas l’amour du métier. Un ascensoriste, ça ne s’invente pas!» Willy Schorderet confirme: «Il considère l’ascenseur comme une œuvre, un bel élément, pas juste un moyen pour transporter des gens. C’est son côté artisan, voire artiste!» Alors que la quatrième génération est déjà présente dans la société, l’entrepreneur tient mordicus à conserver une structure familiale: «L’immense avantage, c’est la liberté que cela procure. Le défaut, c’est peut-être une forme d’habitude qui s’enracine.»

Après 41 ans de métier, le Glânois exprime un soupçon de nostalgie sur une époque révolue: «Avant, tout était plus simple dans l’approche du client et la réglementation. La sécurité est évidemment prioritaire, mais cela va parfois trop loin. Les contraintes sont devenues beaucoup plus importantes et cela produit une charge administrative souvent inutile.» Selon l’entrepreneur, ce n’est pas tant la sécurité des ascenseurs eux-mêmes que celle du client qui est en jeu: «Pour se protéger, il exige le maximum de garanties. Cela peut parfois se transformer en manque de confiance…»

Yvan Menétrey regrette surtout que l’on ne puisse plus rien faire sans signer un papier: «Sur les formulaires, je dois sans cesse répondre à des questions comme «Avez-vous changé de direction les trois dernières années?» Cela fait plus de vingt ans que je dirige cette entreprise… J’aurais espéré que cela finisse par se savoir…»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.