LATITUDES

Les scientifiques fraudeurs

Les aveux d’erreur et les comportements malhonnêtes se multiplient dans le monde de la science. Mais les éditeurs de publications académiques peinent encore à bien les gérer.

Après avoir appris en 2011 que le psychologue néerlandais Diederik Stapel avait falsifié ses résultats de recherche, la communauté scientifique se montra choquée. Les médias s’emparèrent de l’affaire et les éditeurs de publications académiques publièrent des notices de rétractation pour 51 de ses articles, afin d’avertir le lecteur que les informations contenues dans ces publications n’étaient plus fiables.

La chute de Diederik Stapel n’est qu’un exemple d’un phénomène qui a pris une ampleur considérable ces dernières années: une «épidémie de rétractations», comme l’évoquent le microbiologiste Ferric Fang et l’immunologiste Arturo Casadevall, deux rédacteurs en chef de journaux scientifiques inquiets face à cette multiplication de comportements malhonnêtes. Les chiffres sont impressionnants: au début du millénaire, seules quelques douzaines de notices de rétractation étaient émises chaque année. En 2012, la base de données PubMed, consacrée aux sciences de la vie, en recensait plus de 500 (une croissance bien plus rapide que celle du nombre d’articles indexés par la plateforme, qui n’a que doublé durant la même période).

Publier ou périr

Ferric Fang et Arturo Casadevall y voient le symptôme d’une généralisation des comportements délictueux, d’un manque de rigueur scientifique et d’une perte de confiance dans la qualité des papiers publiés. Les chercheurs sont soumis à la pression croissante de «publier ou bien périr», une contrainte impitoyable qui favorise la falsification de données, soulignent les deux rédacteurs en chef.

Mais d’aucuns estiment que la croissance du nombre de rétractations représente une évolution positive, qui reflète simplement un examen plus minutieux des résultats des recherches. «Je ne crois pas qu’il y ait davantage de scientifiques malhonnêtes au XXIe siècle, commente David Fernig, un biochimiste de l’Université de Liverpool qui tient un blog consacré aux rétractations. Nous sommes simplement devenus plus doués pour les repérer.» Le plagiat, la manipulation d’images, les statistiques trop belles pour être vraies et même les simples erreurs sont devenues plus faciles à détecter grâce aux nouveaux outils électroniques, relève Nicholas Steneck, un éthicien de la recherche à l’Université du Michigan.

Malgré ces progrès, la proportion de papiers invalidés (5 sur 10’000) reste étrangement basse. Une étude fréquemment citée, publiée dans «PLOS One» en 2009, montre pourtant qu’environ deux scientifiques sur 100 admettent s’être livrés à une fraude et 14 sur 100 à avoir repéré des irrégularités dans les publications de leurs confrères.

Des notices bien trop laconiques

Les notices de rétractation sont censées nettoyer les publications scientifiques. Mais paradoxalement elles mettent aussi en lumière une nouvelle forme de malhonnêteté: sur la défensive, certains chercheurs et éditeurs de publications académiques traînent les pieds lorsqu’il faut nettoyer la littérature. Trop souvent, instituts de recherche et journaux scientifiques n’expliquent pas pourquoi une publication a dû être rétractée, souligne le journaliste Ivan Oransky, qui a cofondé en 2010 le blog «Retraction Watch». Les notices détaillant ces décisions sont excessivement brèves et pleines d’aphorismes. Parfois, elles se contentent de préciser laconiquement que «l’article a été rétracté» — de quoi accroître la méfiance du public face à l’intégrité de la recherche, fait remarquer David Fernig.

On pensait jusqu’à présent qu’environ la moitié des papiers invalidés l’était en raison d’un comportement délictueux (fraude ou soupçon de fraude, plagiat ou duplication des résultats). Mais en fait, plus de deux tiers des rétractations sont dus à une pratique interdite, ont découvert Ferric Fang et Arturo Casadevall après avoir analysé en détail plus de 2’000 cas. Les erreurs involontaires ne représentent qu’un cinquième du total, le reste étant constitué de fautes commises par l’éditeur ou ne pouvant être classées.

La passivité des éditeurs

Pourquoi une attitude aussi généreuse et un tel manque de transparence? Cela s’explique par un mélange de crainte face aux conséquences légales, une réticence à investir le temps et le travail nécessaires pour enquêter sur les cas complexes et la honte de devoir admettre une erreur, estime Drummond Rennie, rédacteur en chef adjoint du «Journal of the American Medical Association».

Plus indulgente, la rédactrice en chef de «PLoS Medicine», Ginny Barbour, relève que la notion de rétractation est nouvelle pour de nombreux rédacteurs en chef. Ils ont en outre tendance à ménager les scientifiques en n’insistant pas trop sur les détails, car ils savent que ces derniers veulent éviter à tout prix la stigmatisation qui accompagne l’invalidation d’un article.

«Ce terme est connoté négativement, même lorsqu’il ne se réfère pas à une fraude», note Ginny Barbour, qui se trouve également à la tête du Comité d’éthique des publications, basé à Londres. Dans le monde académique, publier est vénéré comme un signe de réussite, et une invalidation peut être perçue comme un «véritable coup de massue», souligne l’éditrice. La sanction est d’autant moins comprise qu’il existe des alternatives comme publier des corrections ou appeler les lecteurs à considérer un article avec circonspection.

La solution passerait par une transparence complète. Les éditeurs devraient prendre leurs responsabilités et expliquer les raisons derrière chaque rétractation, même si cela les oblige à admettre parfois qu’ils ignorent les raisons précises d’une erreur. Les scientifiques devraient également être loués lorsqu’ils rétractent rapidement et de manière spontanée leurs travaux en cas d’erreur involontaire.

Les rétractations représentent certes un problème mineur comparé au défi d’empêcher la survenue des fraudes et de lutter contre le biais de publication (le fait que les chercheurs ne publient que rarement des résultats négatifs). Mais elles constituent un élément clé: on ne fera jamais émerger une culture plus honnête dans le monde de la science si les éditeurs ne s’attaquent pas sérieusement aux erreurs que contiennent les journaux qu’ils publient.
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.