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Nouveau souffle pour l’extraction de gaz en Suisse

Après des années d’échec, l’amélioration des techniques de forage pourrait enfin rendre possible la production de gaz dans le pays.

En 1985, près de Finsterwald, dans le canton de Lucerne, un petit miracle s’est produit. Pour la première fois, du gaz naturel était extrait du sous-sol helvétique. Jusqu’en 1994, le gisement a fourni 2 à 3% de la consommation de la Suisse, avant que la production ne devienne trop faible et que l’on décide de fermer le puits. Un succès d’estime plus que commercial: pour ses promoteurs, l’opération a tourné à l’échec financier. «Les gains n’ont pas suffi à couvrir l’ensemble des investissements entrepris», commente Patrick Lahusen, vice-président de la Société anonyme pour le pétrole suisse (SEAG) et pionnier de la recherche d’hydrocarbures en Suisse.

Aujourd’hui, la plateforme a été transformée en attraction touristique, avec aire de pique-nique, place de jeu et sentier didactique. Le forage reste à ce jour le seul jamais exploité dans le pays, malgré dix-huit tentatives en cinquante ans. A lui seul, Patrick Lahusen a conduit six essais. L’absence de résultats et les millions engloutis n’ont pas entamé la détermination de cet ex-banquier de 68 ans: «Contrairement à ce que l’on apprend à l’école, nous savons que la Suisse possède du gaz.» Les ressources du pays sont estimées à l’équivalent de plusieurs dizaines d’années de consommation domestique par l’Association Suisse de l’Industrie Gazière.

Si cette manne supposée n’a pour l’instant pas pu être exploitée à grande échelle, Patrick Lahusen et le reste de l’industrie gazière suisse ont de nouvelles raisons d’espérer. «Ces dernières années, la connaissance du sous-sol helvétique s’est améliorée, tandis que les méthodes sismiques de localisation des gisements et les techniques de forage se sont perfectionnées», explique le géologue Werner Leu, consultant indépendant pour le compte d’une dizaine de compagnies actives dans la recherche d’hydrocarbures ou la géothermie.

Expertise texane

L’évolution la plus spectaculaire concerne l’essor fulgurant des techniques de forage non conventionnelles aux Etats-Unis, grâce auxquelles ce pays est en train de passer du statut d’importateur d’énergie à celui d’exportateur. Dans ce cas de figure, la méthode ne consiste plus à creuser tout droit en direction d’une poche de gaz, mais à forer d’abord verticalement, puis horizontalement à l’intérieur de couches de gaz de faible épaisseur mais très étendues, piégées à l’intérieur de roches peu perméables. Pour libérer le gaz, la roche doit être fissurée artificiellement. La technique la plus courante est celle de la fracturation hydraulique, ou «fracking», effectuée grâce à un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques injecté sous pression.

Ces couches de gaz serrées, abondantes en hydrocarbures, sont nettement plus faciles à localiser que les gisements classiques, pour lesquels seul un forage sur seize est couronné de succès, selon Patrick Lahusen: «Aux Etats-Unis, près de 800 puits non conventionnels sont creusés chaque mois et ils sont pratiquement tous positifs!» Il ajoute: «Lors des précédents forages verticaux que nous avons réalisés en Suisse, nous avons traversé de telles couches de gaz et nous savons donc qu’elles sont présentes dans notre pays également.» De quoi susciter les espoirs du vice-président de la SEAG.

Mais le «fracking» n’a encore jamais été pratiqué en Suisse. Bien que cette technique soit utilisée depuis 60 ans déjà pour stimuler les puits d’hydrocarbures, elle n’a révélé son véritable potentiel que lorsqu’elle a été associée aux forages horizontaux dans les années 1980 et n’est devenue rentable que récemment. Elle suscite les craintes des défenseurs de l’environnement, qui évoquent séismes et pollutions des nappes phréatiques. Plusieurs pays européens ont interdit cette pratique sur leur territoire. En Suisse, les cantons de Fribourg ou Vaud ont décrété des moratoires. Pour Patrick Lahusen, cette méfiance n’a pas lieu d’être: «La technologie n’était peut-être pas au point il y a vingt ans, mais elle est désormais aussi propre que la géothermie.»

Dans sa quête de gaz, Patrick Lahusen s’est associé à la firme texane Ecorp, avec laquelle il espère mener une douzaine de forages exploratoires dans les deux prochaines années, du lac de Constance au lac Léman. La société de Houston, qui cherche activement du gaz en Suisse depuis 2009, juge que le pays «présente des opportunités très compétitives», selon son directeur John F. Thrash, contacté par e-mail. Ecorp apportera sa propre tour de forage en Suisse et supportera l’entier des investissements jusqu’au creusement du premier puits. Ensuite, la SEAG prendra à son compte 10% des frais et empochera 10% des bénéfices en cas de succès.

Lors de la phase d’exploration, des forages verticaux de diamètre réduit, dits «slim holes», seront pratiqués. Ils sont trois fois plus rapides à réaliser que des forages classiques — 15 jours au lieu de 45 — et coûtent deux tiers de moins — 5 millions de francs au lieu de 15. Pour l’heure, John F. Thrash, précise que sa compagnie n’effectue aucun forage non conventionnel en Suisse, mais il s’attend à y être autorisé dans le futur. «Si ce jour arrive, nous aimerions être de la partie.»

50% de chances de réussite

La SEAG n’est pas la seule société à prospecter le sous-sol helvétique. Plusieurs autres projets sont en cours. Dans la commune vaudoise de Noville, située au sud de Montreux, au bord du lac Léman, l’entreprise suisse Petrosvibri étudie depuis vingt ans la possibilité d’extraire du gaz de manière conventionnelle, dont la présence a été confirmée par un forage exploratoire en 2009. Cependant, une partie du gaz est enfermé dans des roches serrées. Dès lors, la firme envisage-t-elle le «fracking»? «Cela fait partie de l’arsenal des forages, même conventionnels, mais nous n’avons pas recueilli assez de données», répond le directeur de projet Philippe Petitpierre, également président depuis peu du distributeur Gaznat, actionnaire majoritaire de Petrosvibri.

Pour affiner les analyses, une deuxième phase de tests vient d’être lancée. Les résultats devraient être connus d’ici à 18 mois. Près de 35 millions de francs ont déjà été investis dans le projet par les deux actionnaires Gaznat et Holdigaz. Philippe Petitpierre estime les chances de succès à près de 50%, alors qu’elles étaient de 18% avant le forage exploratoire. «Dans le milieu, on estime qu’à 9% de probabilités de réussite, il vaut la peine de forer», détaille-t-il. Pour Gaznat, dont le chiffre d’affaires avoisine les 600 millions de francs, l’enjeu est important: l’essentiel du gaz que la société distribue en Suisse est importé. Les économies réalisées seraient substantielles.

Au-delà de leur faisabilité technique, l’une des plus grandes incertitudes qui pèse sur les projets de forage en Suisse est liée au prix du gaz, décisif pour leur rentabilité. Or si les tarifs ont augmenté au cours de la dernière décennie, la hausse de la production de gaz engendrée par le boom des forages non conventionnels aux Etats-Unis a fait redescendre les cours depuis 2008. Les prix demeurent encore trois fois plus élevés en Europe qu’outre-Atlantique, mais la situation devrait changer lorsque les Etats-Unis se mettront à exporter. Une situation dont Patrick Lahusen est bien conscient, mais dont il ne veut pas s’inquiéter: «Si je refuse de creuser parce que j’ignore à quel niveau sera le prix du gaz dans cinq ans, je ne forerai jamais.»