GLOCAL

Quand la lasagne hypocrite et le ravioli masqué s’invitent sous la coupole

Hasard du calendrier ou flair diabolique, les chambres entament l’examen de la révision de la loi sur les denrées alimentaires. Gôuteux affrontements et juteuses arrière-pensées en perspective.

On devra pour une fois reconnaitre au Conseil fédéral — et en passant à la commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du National — un flair quasi diabolique. Avoir agendé pour la session de ce printemps la révision de la loi sur les denrées alimentaires, et ce bien avant qu’éclate le scandale de la viande de cheval partout, ça c’est du timing, coco.

Un flair qui trouve cependant vite ses limites. A l’heure des lasagnes suspectes et du ravioli masqué, la solution retenue concernant l’indication de provenance apparaît soudain un tantinet légère. Pour ne pas dire inadaptée avant même d’avoir été adoptée. Avec notamment des dérogations prévues pour des «denrées alimentaires hautement transformées», du genre pizzas, glaces ou barres chocolatée. Avec aussi, dans certains cas, des indications de provenance facultatives, ou pouvant se contenter de mentionner une vague zone géographique, comme l’Union européenne, plutôt qu’un pays précis.

Cette tambouille législative risquera d’apparaître indigeste à bon nombre. Les Verts promettent déjà une solide platée d’amendements pimentés à souhait. En gros, aucune exception admise, et des indications de provenance sans faux-fuyant ni métaphores. «Et tout cela doit être clairement lisible sur les étiquettes, le consommateur doit connaître la provenance de ce qu’il achète et mange» tonne ainsi le conseiller national vert et vaudois Christian van Singer dans les colonnes du Temps.

Les Verts dans leur croisade pourront compter — cela devient presque une habitude, pour ne pas dire une sale manie — sur l’appui enragé de l’UDC pour durcir la loi. Et y inscrire l’obligation absolue d’indication de provenance et d’origine. L’UDC, il est vrai, n’a plus à prouver sa méfiance sourcilleuse et instinctive pour tout ce qui arrive de l’étranger, à pieds, en voiture ou à cheval. Membre de la CSSS, l’agrarien vaudois Guy Parmelin soutient ainsi que ce sont les dérogations diverses qui ont rendu possible «le trafic qui vient d’être découvert».

Jusqu’ici les défenseurs d’une certaine souplesse en matière d’étiquetage prenaient comme argument principal la volonté louable d’éviter aux entreprises des surcharges administratives tatillonnes et chronophages. Un argument qui risque de ne plus peser bien lourd face à l’épouvante d’un public découvrant soudain la sinistre et hypocrite alchimie des plats transformés, trop transformés.

Les sceptiques et les libéraux indécrottables, à l’estomac sans crainte ni tremblement, pourront toujours faire valoir qu’une législation même stricte et dénuée de toute exception n’a jamais arrêté les fraudeurs. Qu’importe, en effet, que des étiquettes soient parfaitement lisibles, même par les plus bigleux d’entre nous, si c’est pour mieux distiller des informations incomplètes, voire fausses.

L’UDC paraît d’ailleurs compter sur les scandales alimentaires actuels pour remettre en question la politique agricole 2014-2017 déjà sous toit. Une PA qui étend la part de l’entretien du paysage dans les activités paysannes subventionnées. L’UDC, parti historiquement d’agriculteurs costauds plutôt que de fins jardiniers, voit donc dans cette crise une occasion unique de recentrer l’agriculture suisse sur ses fondamentaux. A savoir la production de denrées indigènes, donc, par définition et principe, forcément saines et traçables. Ce qui devrait permettre au passage le retour à ce péché si mignon et tellement suranné: la limitation des importations.

Même si les deux choses — la fraude dans l’agroalimentaire et le destin de la paysannerie suisse — n’ont sans doute rien à voir. Destin qui dépendrait surtout d’une question d’échelle, d’un marché inéluctablement mondialisé.

Sans parler d’une joyeuse et désormais tout aussi inéluctable diversité gastronomique. On n’imagine plus qu’homo helveticus soit prêt à se contenter dans son assiette, même en alternance et sans cheval fourbe, de papet vaudois, d’émincé à la zurichoise et de raclettes aux cinq fromages de Bagnes.