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Miracle à l’UDC

Serge Klarsfeld minimisant le nombre de juifs refoulés par la Confédération durant la guerre, il n’en fallait pas plus aux blochériens pour relancer le dogme de l’immaculée conception.

Ils n’allaient évidemment pas laisser passer ça: trop beau pour être vrai. Jamais les contempteurs de la fameuse commission Bergier, chargée dans les années 90 de faire la lumière sur la politique de la Suisse durant la dernière guerre, n’auraient osé imaginer pareil retournement, même dans leurs rêves les plus fous. A savoir que la Confédération n’aurait pas refoulé autant de juifs que Bergier et les siens l’avaient prétendu. Non pas 24’000 mais 3000.

Et ce qui les rend particulièrement, bruyamment heureux, les infatigables pourfendeurs de la commission Bergier, c’est que, comme ils le disent eux-mêmes, c’est «une autorité en la matière » qui vient opérer la miraculeuse division: Serge Klarsfeld en personne, donc, chasseur de nazis mondialement respecté.

Alors évidemment, aujourd’hui ils n’ont pas le triomphe modeste. Eux, qui par principe plus que par faits avérés, ont toujours soutenu que les travaux de la commission Bergier se résumaient à un exercice d’autoflagellation malsain. Que la Suisse, la Suisse chérie et bénie, n’avait pas, n’avait rien à se reprocher dans cette méchante affaire. Qu’enfin dans cette histoire nous nous étions couchés devant la finance juive internationale et spécialement new-yorkaise — la Commission Bergier, vous en souvient-il, œuvrait à l’époque des fonds juifs en déshérence.

Eux ce sont d’abord et depuis toujours, depuis que la commission Bergier existe, l’UDC. Ecoutons ainsi la jubilation revancharde d’un Yvan Perrin: «Les chiffres apportés par Monsieur Klarsfeld montrent que la commission Bergier a travaillé dans un contexte où il fallait faire passer les Suisses pour des salauds. Il est temps de faire une lecture objective de l’histoire.» A savoir, sans doute pour Yvan Perrin, une histoire racontée dans un contexte où il s’agira de faire passer les Suisses pour des anges aux cœurs purs.

Peu importe que les chiffres avancés par Klarsfeld, et basés sur une thèse de doctorat encore en cours, soient à peu près aussi discutables et difficiles à vérifier que les estimations certes à la louche de la commission Bergier. Ce qui pourrait importer par contre c’est de se poser cette simple question: 3000 ou 24’000, est-ce que cela change quelque chose? Où est la différence?

Le ton employé par ceux à qui la commission Bergier a toujours donné des boutons, laisse douloureusement penser qu’expulser trois mille juifs, c’est-à-dire, dans le contexte — puisque ces gens-là semblent tellement aimer les contextes — envoyer trois mille juifs à la mort, ce n’était finalement pas si grave. Comparés en tout aux 24’000 d’abord supposés. Le soupçon qui affleure, qu’on laisse affleurer, c’est qu’il existerait en somme un nombre correct de juifs qu’on aurait pu envoyer à la mort sans se déshonorer.

Le doyen du parlement Jacques Neyrinck a bien mis le doigt sur cette petite infamie, soulignant que si les chiffres de Klarsfeld étaient les bons «notre culpabilité ne serait pas divisée par dix pour autant». Que ce qui compte vraiment, ce serait de savoir si, oui ou non «le Conseil fédéral a donné l’ordre d’expulser des juifs parce qu’ils étaient juifs».

Des membres de la commission Bergier rappellent à ce propos que le refoulement des juifs n’était qu’un des nombreux thèmes sur lesquels ils avaient reçu mandat du Conseil fédéral de travailler. Et que sur les autres, la commission avait pu établir l’existence d’une coopération économique et financière entre la Confédération et le régime nazi, ainsi que d’une politique d’asile très restrictive envers les juifs.

L’UDC et ses prêtres obsessionnels pourront bien convoquer tous les historiens qu’ils veulent, les plus objectifs, les plus neutres possibles — ils réclament d’ailleurs des experts étrangers, eux d’ordinaire si à cheval sur le swiss made — ils ne réussiront guère à prouver la réalité de leur fantasme de toujours. Celui d’une Suisse sans tache, à jamais et par définition, à laquelle ils croient comme d’autres à l’immaculée conception.