Pour régénérer le cœur de patients souffrant d’insuffisance cardiaque, une équipe du CHUV veut prélever des cellules souches dans leur moelle osseuse. Explication.
Lorsque le cœur subit un infarctus, il ne s’en remet jamais totalement. «Le temps, c’est du muscle. Plus le manque d’oxygène causé par une artère bouchée est long, plus élevé est le nombre de cellules du muscle cardiaque endommagées», explique Pierre Vogt, professeur à l’UNIL et chef du Service de cardiologie du CHUV. Ces dégâts irréversibles sont l’une des complications majeures de l’infarctus du myocarde, avec comme conséquence une diminution de la capacité du cœur à pomper ou à éjecter le sang. «Quand un patient souffre d’insuffisance cardiaque, son espérance de vie diminue. Il existe certes des médicaments à même de stimuler le cœur, mais chez certains patients, seule une thérapie de resynchronisation ou une transplantation est envisageable», relève le spécialiste.
En quête d’une thérapie alternative à même de donner un nouveau souffle aux cœurs malades, une équipe pluridisciplinaire du CHUV, issue de la pratique clinique et de la recherche fondamentale, étudie la possibilité de stimuler les cellules souches dans les zones cicatricielles du muscle cardiaque ou myocarde. « Cette stimulation pousserait les cellules souches du myocarde à se diviser et à se différencier en cellules musculaires, dans le but d’induire une régénération cardiaque, précise le professeur Thierry Pedrazzini, biologiste et directeur de l’unité de cardiologie expérimentale. L’approche est néanmoins complexe, car elle requiert d’identifier les mécanismes cellulaires qui permettent cette mobilisation à l’intérieur même du muscle. En parallèle, nous étudions une thérapie cellulaire, qui vise à injecter des cellules souches dans le cœur. »
Pour y parvenir, l’équipe du Service de cardiologie développe l’injection de cellules souches issues de la moelle osseuse dans les heures suivant un infarctus — une recherche clinique novatrice placée sous la responsabilité du Dr Didier Locca, médecin associé au Service de cardiologie du CHUV qui a participé au lancement du projet au London Chest Hospital en 2008. Menée conjointement par les deux institutions, l’étude vise à recruter 100 patients, dont dix à Lausanne, d’ici au milieu de l’année prochaine. Le protocole de recherche cible un cas bien précis d’infarctus aigu, durant lequel l’artère qui irrigue le plus le muscle cardiaque, l’interventriculaire antérieure, a été bouchée.
Depuis le feu vert de Swissmedic en mars dernier, une structure de préparation des cellules a été mise en place avec le Dr Jean-Francois Brunet et son équipe, avant de procéder au recrutement des patients. «Ce projet est exemplaire en termes de collaboration, se réjouit Didier Locca. Il implique la recherche de base pour les cellules souches, le laboratoire de production cellulaire, la cardiologie, les soins intensifs, l’imagerie cardiaque et l’hématologie.»
Sélection des patients lancée
Dès à présent, tout patient âgé entre 18 et 79 ans qui répond aux critères de l’étude pourrait être recruté. «Lorsque le patient arrivé en urgence subit une angioplastie, nous déterminons si le vaisseau du cœur atteint concerne la partie qui intéresse notre recherche, à savoir le territoire antérieur», détaille le cardiologue. Dans ce cas de figure, le projet de recherche est présenté au patient, sitôt que celui-ci est stabilisé aux soins intensifs. Avec son consentement, une ponction de moelle osseuse est réalisée dans les heures qui suivent. Les médecins prélèvent en une fois plusieurs millions de cellules, qui sont ensuite purifiées dans un laps de temps d’une à deux heures.
Comme il est indiqué au patient, seule la moitié des participants à l’étude reçoit réellement des cellules, l’autre un placebo — un point important pour conduire une recherche efficace et de qualité. Le patient est ensuite reconduit dans la salle d’intervention, afin de réinjecter les cellules dans l’artère désobstruée, à l’endroit où le stent («ressort») a été placé lors de l’angioplastie. Un examen par résonance magnétique cardiaque sera effectué dans les quarante-huit heures qui suivent, puis dans un intervalle de trois, six et douze mois. Il permettra de suivre précisément l’évolution de la fonction cardiaque.
«Nous observons la récupération de la fonction du cœur et ses effets sur la qualité de vie du patient, en étudiant l’évolution des symptômes d’insuffisance cardiaque», explique Didier Locca. Néanmoins, ce n’est qu’une fois les 100 patients recrutés à une échelle internationale que les résultats pourront être analysés. «Une étude intermédiaire des résultats sur les 72 patients anglais déjà pris en charge a démontré la sécurité de la procédure pour les patients», relève le spécialiste.
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Une version de cet article est parue dans CHUV Magazine.