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«Hâtez-vous de payer la taxe sur la TV!»

Les adversaires de la réforme de la loi sur la radio-TV, UDC et radicaux en tête, fustigent la transformation de la redevance en impôt. Une manip que dénonçait déjà un certain Raymond Devos.

La plus féroce ennemie de la SSR au sein du parlement, la blonde UDC Natalie Rickli, n’est sans doute pas la moins télégénique. Ce qui ne l’empêche pas de qualifier d’entrée la réforme de la loi sur la radio-TV (LRTV) «de révision ratée».

Point principal d’achoppement: l’obligation généralisée pour chacun de cracher au bassinet. Les entreprises — à partir de 500’000 francs de chiffre d’affaires — et les particuliers. Puisque tout le monde ou presque (98% des ménages) la paye déjà cette redevance, argumente une Doris Leuthard soudain bien gourmande. Et que le critère retenu jusqu’ici — la possession d’un poste de TV et de radio — n’a plus guère de sens vu la multiplication des moyens de capter les émissions de la SSR. Et tant pis si ce critère paraissait déjà bien bancal: la possibilité de lire un journal — en le volant, en l’empruntant, en ramassant un exemplaire abandonné dans un train, etc. — n’a jamais donné aux éditeurs le droit de facturer un abonnement.

Concernant les entreprises, l’USAM et economiesuisse sont montés aux barricades, et crient à la double imposition: les dirigeants et collaborateurs d’une entreprise paient déjà certainement la redevance à titre privé. Argument imparable.

Sauf que derrière cette fronde anti-SSR où se mêlent UDC pur jus et radicaux à poils durs, genre Filippo Leutenegger, ancien et célèbre animateur cathodique, on retrouve une haine mécanique et idéologique de l’Etat. La grande peur de ces gens-là, c’est un paysage médiatique où l’Etat se taillerait de plus en plus la part du lion. On se souvient que le facétieux monsieur Couchepin, enclin à voir du soviétisme à tous les coins de buvettes, salua des années durant les journalistes de la SSR d’un tonitruant «Tiens, voilà la télévision d’Etat».

«Impôt médiatique » s’est ainsi étranglé le prude Filippo, que ces seules cinq lettres — i,m,p,o,t — ont toujours suffi à rendre rouge de colère. La méfiance de tous ces grands libéraux est tellement vive qu’ils semblent même prêts à sacrifier leurs bons amis des TV privées, auxquelles la révision entend rétrocéder une grande part de la redevance. Leutenegger veut même n’y voir qu’une méchante tentative de la part du Leviathan SSR d’acheter les Winkelried des ondes particulières.

Pour preuve de la perversité naturelle de la SSR, le pittoresque tandem Rickli-Leutenegger — la Belle et la Bête — soutient que les médias d’Etat ces dernières décennies ont toujours orienté leurs offres «contre la concurrence privée». On pourrait rétorquer que la SSR pouvait difficilement «orienter ses offres» contre la concurrence publique, c’est-à-dire contre elle-même.

Il est un point, n’empêche, où la réticence pourrait être de mise face à cette révision soutenue intégralement pour l’heure par les seuls socialistes et démocrates-chrétiens. Passer d’une redevance touchant 98% des ménages à une taxe aveugle frappant chacun permettrait certes de substantielles économies de perception — Billag pourquoi tu tousses? — mais au prix d’une horreur conceptuelle qui renverrait au pire des cauchemars orwelliens: nier le droit de ne pas regarder la télévision ni d’écouter la radio.

Cette affaire de redevance qui se transmue en impôt déguisé n’est donc pas loin de toucher à la guignolade. Tellement qu’un vieux maître de la parole en folie, Raymond Devos, l’avait déjà mise en musique dans «Le possédé du percepteur». Un possédé qui voulait voir déjà dans le simple et fiscal sigle «TVA» une invite à régler fissa la redevance: «Si vous prenez les deux premières lettres TV, cela veut dire en clair: As-tu payé la taxe sur la TV? Les lettres VA veulent dire: Va! Va payer la taxe sur la TV! Puis TA, traduire: T’as payé la taxe sur la TV?… Ah… Alors VA la payer! C’est un rappel à l’ordre constant. Même si vous lisez les lettres à l’envers, elles vous rappellent encore quelque chose. AV: Avez-vous payé…? AT: Hâtez-vous de payer!… VT: «Vêtez-vous et hâtez-vous de payer la taxe sur la TV!»

D’ailleurs vous savez quoi? Il y a même une formation, le certes petit Parti évangélique (PEV), qui vient d’oser franchir le pas. En proposant tout simplement de remplacer la redevance par une… augmentation de la TVA.