LATITUDES

Rien n’arrête la progression de l’armée «Rouge»

Après la radio et la télévision, le groupe romand, qui compte une centaine de collaborateurs, investit dans la création de contenus multimédia. Portrait.

«Nous resterons viscéralement ancrés dans notre stratégie multimédia», résume Frédéric Piancastelli, directeur général de ce que l’on pourrait désormais appeler le groupe «Rouge». Après la radio (Rouge FM, Yes FM) et la télévision (Rouge TV), ce dernier se lance dans l’enregistrement d’émissions et de musique live par le biais de Rouge City, un studio récemment installé dans les locaux de l’ancienne boîte de nuit le Cult Club à la place Chauderon de Lausanne.

Un développement qui devrait permettre de générer du contenu dédié à alimenter les différentes plateformes du groupe, qui ne cesse d’étendre ses activités en Suisse romande. Au départ, Frédéric Piancastelli — qui a fait ses armes dans le domaine commercial du secteur des imprimantes en France — décide de reprendre en 2005 en compagnie de l’homme d’affaires français Hugues de Montfalcon (aujourd’hui encore actionnaire du groupe) Radio Framboise, à l’époque en mauvaise posture financière. C’est ainsi que démarre Rouge FM. «Notre objectif était d’en faire la première radio privée de Suisse romande», rappelle le Français âgé de 50 ans.

Plus tard, une deuxième radio sera reprise: Radio Lac, qui deviendra Yes FM. La Loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV) n’autorisant pas la reprise de plus de deux radios sous concessions, l’entreprise décide de se tourner vers l’audiovisuel. «Dès cette époque, nous avions la conviction que le marché allait évoluer vers une augmentation de la vidéo consommée sur différents supports. C’est pourquoi nous avons décidé d’étendre nos activités dans le domaine de l’image», se félicite Frédéric Piancastelli.

De cette volonté, et après plusieurs négociations avec les principaux câblo-opérateurs des différentes régions en Suisse romande, naît la chaîne de télévision Rouge TV. Celle-ci se consacre dès ses débuts exclusivement à la musique et au divertissement. Contrairement à d’autres chaînes régionales comme La Télé ou Léman Bleu bénéficiant d’une quote-part de la redevance et devant en contrepartie remplir un cahier des charges précis en termes d’informations locales, la nouvelle chaîne n’a qu’une obligation: se déclarer à l’Office fédéral de la communication (Ofcom).

Aujourd’hui encore le modèle d’affaires du groupe repose entièrement sur les recettes publicitaires. En matière d’audiovisuel, il suit deux axes principaux de développement: la diffusion télévisuelle classique (avec le talk-show Mika & Co, des séries, des films ou des clips musicaux), et aussi la création de contenu multimédia destiné à ses différents supports. A titre d’exemple, un concert enregistré dans le studio de Rouge City peut être diffusé en direct sur la page Facebook de Rouge FM, qui compte 53’000 fans. Ce fut le cas à la fin du mois d’avril pour un concert du chanteur français Christophe Willem.

Une transmission qui permet d’attirer des visiteurs sur les différents sites du groupe et d’interagir avec eux. En termes d’invités et de chroniqueurs, la chaîne mise dans son talk-show sur un mélange de personnalités locales (notamment des politiciens comme récemment Daniel Brélaz) et françaises (avec la participation du chroniqueur Eric Naulleau et différents chanteurs ou musiciens de l’Hexagone).

Afin d’optimiser la diffusion de toute cette masse de contenus audiovisuels sur ces différentes plateformes, le groupe a mis en place un outil informatique d’archivage et d’alimentation automatique. Il a aussi mis sur pied une application mobile afin de coller au plus près aux évolutions des habitudes de consommation de son public, notamment parmi les plus jeunes. La société se développe ainsi de manière prononcée dans le secteur des Web radios avec le lancement de Rouge Platine et Rouge Rock et la prévision du lancement prochain d’un nouveau bouquet de radios sur le Net.

La stratégie du groupe consiste ainsi à occuper un maximum de supports, de la radio à la télévision en passant par le Web et les smartphones. «Plus de 140’000 utilisateurs uniques ont téléchargé l’application que nous avons lancée en 2010», explique Frédéric Piancastelli qui ne pensait pas à l’époque atteindre un tel chiffre. Après le offline (radio, TV) et le online (Web) l’entreprise s’attaque également à l’offre «physique» en proposant grâce à son studio flambant neuf de la place Chauderon la possibilité au public d’assister à des concerts et à des émissions.

Le groupe, constitué sous la forme d’une holding (Unicast) dont le siège se trouve au Mont-sur-Lausanne, compte aujourd’hui une centaine d’employés contre une vingtaine à ses débuts en 2005. Parmi eux, une quinzaine de journalistes se répartissent dans les rédactions des deux radios et une vingtaine de personnes sont chargées des ventes sur le marché local et supranational. Le groupe possède sa propre régie publicitaire tout en travaillant avec une régie externe pour les annonceurs nationaux. Ce qui lui permet de proposer des «paquets» multimédias, constitués de banners publicitaires, d’annonces radios classiques ou de présence des annonceurs sur les plateaux d’enregistrement ou lors d’événements spéciaux.

Frédéric Piancastelli ne communique ni son chiffre d’affaires ni les coûts d’investissement, mais déclare que le groupe est rentable depuis plusieurs années avec une croissance qui s’est élevée l’année dernière à 20% et une audience quotidienne tous supports confondus de 350 000 personnes (Rouge FM réalise à elle seule 134 000 auditeurs quotidiens uniques), «ce qui nous conforte dans notre processus de développement», relève le directeur, qui ajoute que compte tenu de l’évolution rapide des technologies et modes de consommation, il serait extrêmement dangereux de ne se concentrer que sur un seul support.

Il fait notamment référence à l’arrivée très prochaine de la radio numérique qui devrait permettre, outre une qualité de réception et de couverture améliorée, de fournir une large gamme de données associées aux auditeurs, telles que des informations sur un artiste ou sur un disque.

Sociologue des médias à l’Université de Genève, Sébastien Salerno observe une tendance généralisée vers la constitution de groupes multimédias cherchant à coller à cette évolution des habitudes de consommation du public (ce qui explique notamment que la plupart des grandes radios se soient lancées partout et depuis plusieurs années dans la rediffusion de séquences filmées, par exemple de leurs émissions matinales). Chez les plus jeunes, ce changement est particulièrement radical comme le démontre une étude (JAMES) réalisée en 2010 par l’Université de Zurich sur près de 1000 jeunes âgés de 12 à 19 ans. «Ils affirment consommer des médias d’abord sur leur smartphone, puis sur Internet, vient ensuite le MP3, suivi des médias traditionnels comme la télévision, la radio et enfin la presse écrite», observe Sébastien Salerno.

Si ces supports traditionnels sont de plus en plus concurrencés par une offre toujours plus large, ils restent utiles pour des raisons de prestige, d’image de marque et, au final, de rentrées publicitaires globales pour ces groupes. Un processus de reconnaissance que l’on peut constater en matière de phénomènes (qu’il s’agisse de groupes de musique ou de concepts divers) démarrés sur le Net ou sur les réseaux sociaux, généralement ravis d’être repris à la télévision ou à la radio.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.