Pour prévenir les risques d’inondations, on a longtemps misé sur l’aménagement du territoire. Depuis peu, des maisons surélevées sont construites, notamment au bord de la Sarine. Exemples.
Il y a un an exactement, le lien entre réchauffement climatique et risque accru d’inondations était démontré scientifiquement, après des années de recherche. Et la Suisse, château d’eau de l’Europe, n’est pas épargnée par ce risque, comme l’attestent les violentes inondations qui ont frappé le Lötschental l’automne dernier. «Sous la pression de l’urbanisation, on construit toujours plus proche des cours d’eau et des rives des lacs, qui sont particulièrement appréciés pour leur beauté, observe Anton Schleiss, professeur en génie civil à l’EPFL. Il n’y a pas de miracle, le risque d’inondation des habitations croît proportionnellement.»
En comparaison européenne, les architectes suisses accusent du retard dans l’intégration de ce facteur. Parmi les rares modèles de bâtiments conçus pour résister spécifiquement aux inondations, trois maisons situées au bord de la Sarine réalisées par le bureau Bakker Blanc en 2009. L’architecte Marco Bakker, qui est né aux Pays-Bas, sait de quoi il en retourne: «Là-bas, nous nous protégeons depuis des siècles par des digues. En Suisse, on est surpris de la force des inondations depuis seulement dix ans.»
Pour assurer les maisons contre les inondations, Marco Bakker a dû tenir compte de la hauteur de crue de la Sarine: «Tous les espaces habitables se trouvent au-dessus de ce palier. Les fondations en béton reposent sur des pilotis. Ensuite, la maison est en bois sur trois étages. Comme à Venise, des portes en acier peuvent être déployées en dix minutes pour protéger l’entrée.» Le séjour, au dernier étage, sert de refuge à la famille en cas de crue.
Luca Ortelli, directeur de l’Institut d’Architecture de la Ville à l’EPFL, estime que ce projet reste le «meilleur exemple» de maison résistante à l’inondation en Suisse. Lui-même a été confronté au problème lorsqu’il a réalisé le bâtiment des archives cantonales tessinoises à Bellinzone, situé à une centaine de mètres de la rivière Ticino. «Pour protéger ces documents précieux en cas de crue, nous avons dû entourer le bâtiment d’une cuve étanche en béton armé. Mais les pilotis constituent une solution plus économique. A Bellinzone, il a fallu engager des moyens colossaux.»
Pour autant, le professeur ne pense pas que les maisons sur pilotis et autres résidences amphibies – des constructions qui flottent comme des bateaux en cas de montée des eaux – vont essaimer en Suisse: «Il n’y a pas vraiment de réponse architecturale aux inondations. Nous n’arriverons jamais à diffuser le modèle des Pays-Bas, car la maison flottante n’entre pas dans la culture suisse.» Selon lui, la bataille contre les crues doit se jouer à une échelle plus large, au niveau de l’aménagement du territoire: «Dans ce domaine, le travail de la Suisse est déjà exemplaire.»
Les cantons s’affairent à établir des «cartes des dangers» sur le risque d’inondation, qui devraient couvrir l’ensemble du territoire national d’ici à 2013. «Des habitations, voire des villages entiers, se situent dans les nouvelles zones à risque, observe Anton Schleiss. On doit les protéger, mais le coût est exorbitant.» Pour le spécialiste, ce sont avant tout les eaux torrentielles qui constituent la menace la plus sérieuse en Suisse. «Et contre ces dernières, les pilotis sont inutiles. Il faut surtout laisser le lit des rivières plus libre. Si on bétonne une rivière, elle s’en souviendra un jour. Et là, gare aux dégâts!» Des centaines de maisons trop exposées au risque d’inondation seront par exemple détruites dans le cadre de la troisième correction du Rhône. Ou quand les architectes suisses laissent la main aux ingénieurs.