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Rixe et obélisque à Dommartin

A-t-on le droit d’installer des menhirs sur un terrain agricole? Dans un petit village vaudois, une célébrité de la chirurgie esthétique est entrée dans un conflit ouvert avec les autorités.

Dommartin (VD) pourrait prétendre au titre de village de l’étrange. A la Renaissance, on y a pratiqué deux séries de procès pour sorcellerie. Plus de cinq siècles plus tard, à l’été 2007, un crop circle apparaissait mystérieusement dans les cultures d’un agriculteur. C’est aujourd’hui un mini-Stonehenge de dix-sept pierres du patrimoine glaciaire érigées dans un champ face au Suchet qui émeut le village.

Ces blocs bruts, qui ressemblent à des menhirs non taillés, méticuleusement posés selon les axes nord-sud et est-ouest, provoquent indéniablement un effet sur le visiteur. «J’ai choisi ces pierres en fonction de leur force», révèle Urs Burki, qui n’est pas un druide celtique mais un chirurgien esthétique soleurois en quête d’une beauté plus rugueuse qu’un visage botoxé. Il vit depuis 2008 à Dommartin dans un charmant cottage New England qu’il a acheté avec le terrain agricole qui le jouxte.

Il s’était rendu célèbre dans les années 1990-2000 par ses opérations retransmises sur la chaîne de télévision allemande RTL. Il redressait des nez, gonflait des seins ou tirait des visages en musique dans des lieux insolites comme un glacier, un bateau ou une salle de concert. Aujourd’hui, il fait encore quelques injections dans une clinique à Genève, mais surtout il peint des toiles expressionnistes abstraites et il sculpte.

C’est en visitant l’atelier d’un tailleur de pierres que lui vient l’idée d’en placer dans son champ derrière la maison. «Ces pierres qu’on trouve au bord des routes m’ont beaucoup plu. Au lieu de les sculpter, je me suis dit que posées intactes dans l’herbe, elles seraient des œuvres de la nature», raconte-t-il.

Il obtient l’accord de son voisin Michel Delessert, qui était également à l’époque le syndic de Dommartin et l’agriculteur qui faisait paître ses vaches sur son terrain. «On le voit sur la vidéo que nous avons tournée au moment de la pose des pierres. Ses vaches étaient heureuses, elles se frottaient aux pierres, ça l’amusait.»

Les deux hommes restent bons amis pendant deux ans. Ils partagent apéro, tomme et saucisson. Urs Burki dote son décor d’un tumulus de deux mètres de hauteur, d’un petit étang, d’arbres fruitiers, de rangées d’arbustes et plantes médicinales ou encore d’un gros tronc. L’agriculteur adapte les clôtures en conséquence, fait des zigzags dans le terrain avec sa faucheuse.

A l’été 2010, Urs Burki décide d’amener quelques pierres supplémentaires. Il l’annonce à l’agriculteur qui ne s’y oppose pas. C’est à partir de là que le récit des deux hommes diverge. Michel Delessert nous dit s’être attendu à cinq nouvelles pierres; Urs Burki affirme en avoir annoncé dix, dont les cinq colonnes de basalt, clou de l’installation. Toujours est-il qu’à son retour de vacances, Michel Delessert découvre des ouvriers en train d’installer onze pierres dans le champ…

«Il m’avait menti sur l’ampleur du chantier. J’ai dû intervenir, en tant que syndic, pour lui demander d’arrêter les travaux et de faire une mise à l’enquête», explique Michel Delessert. Fautil vraiment une autorisation pour installer des pierres naturelles qui proviennent de champs de la région? Urs Burki consulte son fournisseur et son entreprise de terrassement. On lui assure que des pierres non travaillées par l’homme ne constituent nullement une construction. Il poursuit donc les travaux.

Sur ce refus d’obtempérer, la commune avertit le Service du développement territorial (SDT) du canton de Vaud. Voici son argumentaire: «L’article 22 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire dit que toute construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente. Celle-ci est délivrée si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone. En zone agricole, ne sont acceptées que les nouvelles installations qui servent l’agriculture ou qui sont imposées par leur destination hors des zones à bâtir. Dans ce cas précis, les pierres mais aussi les allées de gravier autour des plantes ne sont manifestement pas nécessaires à une pratique agricole. Si M. Burki avait fait une demande, nous n’aurions pas pu l’accepter.»

Le chirurgien attend la décision finale de la SDT, prêt à faire recours pour sauver son décorum jugé trop peu agricole. Il reproche à la commune de ne pas l’avoir correctement informé sur ces questions d’aménagement du territoire. Les vaches, elles, broutent désormais ailleurs.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.