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Emmen: l’horreur démocratique

D’un côté, des étrangers qui vivent à Emmen (Lucerne) depuis plusieurs années et qui souhaitent obtenir le passeport suisse. De l’autre, des citoyens conviés aux urnes pour décider qui sera naturalisé. La procédure est scandaleuse.

Comment a-t-on pu laisser faire cela? Toi tu seras Suisse, toi tu ne le seras pas. Le vote des habitants d’Emmen est une monstruosité démocratique: la sélection dans le secret de l’isoloir, d’après photos, selon l’origine nationale, l’ethnie. D’un côté, des barbares sans visage, de l’autre, des victimes dévisagées. C’est le système qui est barbare, et celui qui l’accepte se rend complice de barbarie. On trouvera toutes les causes pour expliquer la peur et le rejet de l’étranger. Il faudra en tenir compte. Mais la recherche des causes ne doit pas se transformer en manoeuvre dilatoire.

Ce qui s’est passé à Emmen, la procédure de naturalisation choisie, qui laisse le dernier mot aux humeurs du peuple communal, est intolérable. Cela ne doit plus se reproduire. Le Conseil fédéral doit condamner cette acception funeste de la démocratie. Au besoin par un arrêté urgent. Ceux qui, au parlement, partagent l’indignation, doivent se faire entendre. Il ne faut pas éviter la crise politique, il faut la faire éclater. Se taire, ne pas prendre les mesures qui s’imposent pour empêcher la répétition d’un acte aussi peu humain serait lâche.

La Suisse s’enferme, à tous les points de vue, la Suisse a peur, elle se saoule de votations absurdes, entretient un folklore démocratique sans substance, fuit l’universel. Cela ne doit pas durer. Emmen agit comme un révélateur de cette médiocrité. La bassesse n’est pas un beau projet de vie. Non, nous ne devons pas nous sentir coupables de combattre l’autonomie communale dans ce qu’elle a d’abjecte; non, ce n’est pas se placer hors des valeurs démocratiques suisses que de dénoncer des attitudes contraires à l’idéal de la démocratie et de la justice.

Ce sont ceux qui permettent et commettent de telles injustices qui rompent le lien confédéral et s’excluent de la communauté nationale. On ne fera pas croire qu’Emmen est la norme, jamais. Se rend-on bien compte que le vote des habitants d’Emmen, et auparavant celui des Suisses de Beromünster, lors d’une procédure semblable, est la réalisation, sous nos yeux, de ce que Le Pen veut pour la France?

Il faut réagir, sinon nous ne pourrons plus vivre ensemble. La Suisse éclatera. Il y a un problème étranger? Parlons-en. Face à l’immigration, le discours doit être généreux et sévère. Aujourd’hui, il n’est même pas sévère, il est méprisant. L’Autre est un Autre, pour toujours. Seul l’Etat central dispose des moyens politiques, juridiques et symboliques pour imposer à tous les Suisses une nouvelle approche de l’étranger. Emmen est la démonstration du manque d’Etat. L’Etat doit dire: plus jamais ça.

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Antoine Menusier, journaliste, travaille pour le quotidien Le Temps.