KAPITAL

Le Greenpeace de la finance est né

L’organisation Finance Watch, fondée en début d’année à Bruxelles, devra contrebalancer l’influence grandissante des banques auprès des législateurs. Présentation.

L’objectif de Finance Watch est ambitieux: réglementer la finance internationale en organisant un contre-pouvoir face au puissant lobbying des banques. Difficile de dire, à ce stade, si cette organisation aura les moyens de ses ambitions, mais elle ne ressemble en tout cas pas à une ONG de plus gravitant autour de l’UE.

Finance Watch a en effet vu le jour de manière originale, grâce à un appel lancé par une vingtaine d’eurodéputés, issus de divers bords politiques. Une fois n’est pas coutume, la mobilisation est donc venue d’en haut. De plus, le domaine pointu de la réglementation financière, rarement choisi par les ONG de Bruxelles, lui donne un très net avantage en termes de subventions. Son budget s’élève ainsi à 2 millions d’euros, dont un million apporté par la Commission européenne.

«La crise de 2008 a démontré que la finance est un secteur clé de l’économie mondiale et si, à l’époque, des projecteurs avaient été braqués sur les pratiques des banques d’investissement, certains faux pas auraient pu être évités», explique Pascal Canfin, l’un des initiateurs de Finance Watch, eurodéputé français d’Europe Ecologie et membre de la Commission des affaires économiques de l’UE.

Aux Etats-Unis, la Commission d’enquête parlementaire sur la crise financière a fini par conclure que «la crise aurait pu être évitée». Elle a également accusé le principal dérégulateur de Wall Street, Alan Greenspan, ancien président de la Fed, d’avoir sciemment ignoré l’ensemble des signes avant-coureurs du séisme financier.

Aujourd’hui, Finance Watch, avec l’aide de la Commission européenne, tente d’équilibrer le rapport de forces entre les nombreux groupes d’intérêts bancaires présents à Bruxelles et la société civile. Lobbying, contre-expertises et campagnes de communication, telles seront les principales activités de l’ONG, qui ne s’est pas contentée de recruter auprès d’autres organisations ou syndicats.

Une partie de ses membres est constituée d’anciens banquiers et traders, témoins des dernières dérives. «Certains ont vu leur banque spéculer contre la Grèce et ne souhaitent pas que cela se reproduise. Ils veulent travailler dans un autre cadre et sont prêts à verser des dons ou des cotisations de 25’000 euros pour voir évoluer ce cadre», ajoute Pascal Canfin.

Les sujets qui passeront sous la loupe de Finance Watch sont les mêmes que ceux que la Commission européenne étudie actuellement: rémunération des banquiers et traders, paradis fiscaux, spéculation sur un pays endetté, prêts à haut risque ou encore assurances douteuses.

«Le problème est que les marchés globalisés sont sans gouvernance. Il faut des ONG comme Finance Watch pour les surveiller, c’est indispensable, estime Guido Palazzo, professeur en éthique des affaires à HEC Lausanne. La crise de 2008 a montré à quel point ces réseaux économiques et mondiaux étaient libres, mais depuis, rien n’a été fait. Finance Watch représente un premier pas. Elle pourrait agir comme les ONG qui, dans les années 1990, avaient provoqué le scandale Nike, en révélant au monde entier le travail des enfants. Là, il s’agira de dénoncer les fautes des banques.»

D’autres organisations soutenues par Bruxelles agissent aussi pour la transparence et l’équilibre au sein des opérateurs financiers, chacune avec sa spécialité. Alors que Finance Watch se penche sur les banques d’investissement et les hedge funds, Transparency International agit contre la corruption politique, économique et financière. Elle est, par exemple, chargée d’appeler au gel d’avoirs de dictateurs en fuite et de surveiller la restitution de ces avoirs à une population. BankTrack, basée aux Pays-Bas, s’assure que les agissements d’établissements financiers vont bien dans le sens d’un développement durable pour le pays bénéficiaire. Comme le souligne Guido Palazzo, «le plus dur reste pour Finance Watch de sensibiliser le grand public à la finance internationale, mais c’est possible, comme l’ont fait d’autres organisations avant elle, dans les domaines de l’environnement, de la santé ou de l’alimentation».
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L’exemple suisse depuis 1968

En Suisse, la Déclaration de Berne (DB), créée en 1968, fait figure d’organisation pionnière dans la surveillance de la finance. Fondée par l’économiste et pasteur genevois André Biéler, cette ONG forte de 21’000 membres œuvre pour des relations plus équitables entre la Suisse et les pays du Sud. Visionnaire, la Déclaration de Berne préconisait dès le départ de surveiller les domaines les plus propices aux inégalités entre le Nord et le Sud: la finance internationale, notamment, mais aussi la recherche scientifique, les droits humains, l’alimentation ou encore l’environnement.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (2 / 2011).