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Petits pauvres et grands principes

Le récent scrutin vaudois sur les prestations complémentaires a montré que si brandir «des valeurs», c’était bien, en choisir qui soient raccord avec la réalité vécue, c’était mieux.

Tiens, les Vaudois ont adopté à 61% un système d’aide aux familles pauvres, sous la forme de «prestations complémentaires» (PC). L’occasion pour Claudine Amstein, directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), de justifier son opposition au projet, par une phrase plus retorse qu’elle n’en a l’air: «Il s’agissait surtout de défendre des principes et non pas de stigmatiser les pauvres».

Ni bien sûr de faire ce pour quoi une directrice de la Chambre de commerce et d’industrie est payée: défendre non de grands principes, mais les petits intérêts très bien compris, concrets et particuliers, des associations patronales.

Voyons donc quels seraient ces fameux principes au nom desquels il aurait fallu absolument, vigoureusement rejeter l’idée folle de prestations complémentaires modestes accordées aux familles pauvres. C’est vite vu et ça tient en une brève formule, telle par exemple que la résume le correspondant vaudois du quotidien Le Temps, Marco Danesi: «Pas de ponctions supplémentaires sur le travail pour financer des assurances sociales».

Un principe — et celui-là ne fait pas exception –, ça sonne bien, c’est joli, ça en jette, ça claque haut et fort, comme un courageux étendard. Un principe, bien énoncé, bien tourné, ça «fait» forcément responsable et intelligent. Mais un principe aussi — et celui-là ne fait pas exception là non plus –, quand on y regarde de près, ça ressemble soudain à du méchant raccourci. Si pas à de la caricature, comme le ministre français Wauquiez décrétant «l’assistanat» «principal cancer» de son pays.

Un principe enfin, surtout si on se met à le qualifier pompeusement de «valeur», ça reste dans le vague, l’éthéré, l’azur des belles phrases, le monde des idéaux. Un principe, ça répugne à affronter le cambouis compliqué des sales régions sublunaires, ces espaces divers et bizarres où pullulent des pauvres, dont tous, tiens! ne sont pas des profiteurs ivres de paresse, et au bec toujours ouvert.

On peine d’ailleurs à croire que le beau canton de Vaud compte 61% de pauvres. Il faut donc penser que le corps électoral a fait fi à la fois d’un égoïsme bien naturel — celui qui pousse à trouver toute prestation abusive dès lors qu’elle bénéficie à quelqu’un d’autre que soi — mais aussi du beau principe patronal déjà évoqué. «Pas de ponctions supplémentaires sur le travail pour financer des assurances sociales».

Par quel miracle? L’explication du rédacteur en chef de «24 heures» Thierry Meyer en vaut une autre. A savoir une majorité de votants partageant désormais «davantage le souci d’une société qui donne des signes d’inégalités croissantes que celui de voir l’Etat opérer une modeste ponction de plus sur les actifs et leurs employeurs».

Bref, c’est principe contre principe. Solidarité contre responsabilité. Sauf que d’un côté une majorité a pu se reconnaître dans un principe de solidarité incarné par un homme — Pierre-Yves Maillard, fils de vrai pauvre et que ce succès spectaculaire pourrait, dit-on, emmener droit vers le Conseil fédéral.

Sauf que, en face, l’appel à la responsabilité a dégagé un fumet faisandé. Que peut bien signifier en effet un principe creux comme «pas de ponctions supplémentaires sur le travail pour financer des assurances sociales»?

Avec un peu de bonne volonté, on pourrait y voir l’affirmation que, hormis le travail, d’autres sources de financement des assurances sociales sont à envisager. Par exemple des ponctions supplémentaires sur le capital et/ou la consommation. Sauf que bien sûr, les associations patronales n’en veulent pas non plus.

En vérité donc, la phrase «pas de ponctions supplémentaires sur le travail pour financer des assurances sociales» signifie «pas de ponctions du tout pour financer des assurances sociales supplémentaires.» C’est vrai ça, marre de payer toujours plus pour ces salauds de pauvres. Par principe, évidemment, et pas pour stigmatiser qui que ce soit, quelle horreur, vous n’y pensez pas.