CULTURE

Ai Weiwei, du musée à la prison

Juste avant son arrestation, le célèbre artiste chinois avait exposé pas moins de cent millions d’œuvres manufacturées à la Tate Modern de Londres. Une installation qui a mis notre chroniqueuse en émoi. Elle raconte.

«700 millions de Chinois, et moi et moi et moi.» Il y a bien longtemps, en 1966, Jacques Dutronc confrontait son minuscule «moi» à la multitude. Sept cents millions, un nombre synonyme de gigantisme, d’inapprivoisable par les sens.

Depuis, la progression démographique, malgré une loi sur l’enfant unique, a vu la population de l’empire du milieu quasiment doubler (un milliard trois cent et quelques mille!). Mao est mort sans entraîner celle de la dictature dont l’artiste Ai Weiwei fait les frais.

Celui qui a contribué à la réalisation du Nid d’Oiseau de Pékin m’a mise récemment en émoi. Contrairement aux paroles de la chanson de Dutronc qui renvoyaient à un contenu bien abstrait, son installation à la Tate Modern de Londres était tangible (elle s’est terminée le 2 mai dernier). Cent millions de graines de tournesol recouvraient le sol de l’énorme Turbine Hall du musée.

Comment ne pas y voir un clin d’oeil à la Révolution culturelle (1966-76) dont la propagande représentait les citoyens par des tournesols dirigés vers le soleil, le Grand Timonier?

Si chaque citoyen chinois est matérialisé par une graine, il convient de multiplier par quatorze ce qui est sous nos yeux pour avoir le compte actuel. Quel émoi! Là où mes profs de math ont buté sur des difficultés insurmontables, l’oeuvre de Weiwei accomplit le miracle: me permettre de visualiser des millions. Son histoire est stupéfiante. Ce que j’ai commencé par prendre pour de simples graines de tournesol sont en fait autant de produits manufacturés. De minuscules oeuvres en porcelaine! Dans une salle adjacente à l’installation, une vidéo en décrit le parcours. Comme le service à thé qui célébra le récent mariage princier britannique, cela se passe à Jingsezhen.

C’est dans cette ville assimilée depuis 1700 ans à la capitale mondiale de la porcelaine qu’ont été produites les graines. Toutes ont passé entre les mains de personnes qui, en quatre coups de pinceau, ont transformé une minuscule pièce de porcelaine en une parfaite imitation d’un produit de la nature.

De retour vers l’énorme grainier, mon regard n’en est que plus ébahi. Lors du vernissage, l’automne dernier, la surface aujourd’hui interdite au public a été foulée par l’artiste. On repère encore ses traces. Se doutait-il qu’il allait, telle une graine, être écrasé peu après (le 3 avril 2011)? Il déplorait alors «la censure», et soulignait combien «la liberté d’expression est indissociable de la créativité d’un artiste». Interrogé sur la raison pour laquelle «il n’est pas en prison», il avait répondu: «Je ne sais pas, mais pour l’art, il faut savoir prendre des risques.»

Son arrestation suscite aujourd’hui un mouvement de solidarité international. «J’y pense et puis j’oublie, c’est la vie c’est la vie», concluait la chanson de Dutronc. Pour que le sort de l’artiste ne tombe pas dans l’oubli, Anish Kapoor, le plasticien indo-anglais qui expose «Léviathan», une oeuvre gigantesque sous la nef du Grand Palais, à Paris, vient de proposer un jour de cialis 1 mg.