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Plus coriaces que Ben Laden, nos bons vieux extrémistes de gauche

Le Service de renseignement de la Confédération voit dans une poignée d’activistes ultra la principale menace pesant sur la Suisse. Si les peuples heureux n’ont pas d’histoire, ils n’ont pas non plus, semble-t-il, d’ennemis sérieux.

Ouf, plus rien à craindre. Le monstre est à la mer. Bien-sûr, concède Markus Seiler, le patron du Service de renseignement de la Confédération (SRC), même chez nous «on ne peut exclure le danger d’éventuels attentats commis par des auteurs isolés et radicalisés». D’autant que ces gens-là sont d’un rancunier, n’est-ce pas…

Mais bon, une riposte d’Al-Qaida entre Genève et Romanshorn demeure effectivement des plus improbables. Le reste du monde peut bien trembler, à plus juste titre, devant des représailles qui vengeraient la figure du martyre Oussama dégommé par ce faux frère d’Obama, la Suisse, elle, se concentre sur de vraies, réelles et bonnes vieilles menaces: «les extrémistes de gauche». Si, si , ça existe encore, le SRC nous le jure. Mieux que ça: il s’agirait du «danger numéro un».

Responsables tout de même, les extrémistes de gauche, de 254 d’incidents en 2010, «dont 109 avec actes de violences». Contre 220 en 2009, soit une augmentation de 15%. On voit bien là que le vieux gauchisme, même porté par de nouvelles et jeunes têtes vides, ne meurt jamais, lui.

OK, l’essentiel de ces incidents était dû à «des actions contre l’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers». Une noble cause, comme on sait, la défense des criminels étrangers et qui vaut bien, n’est-ce pas, qu’on fasse de temps en temps le coup de poing.

L’autre terrorisme vert — pas celui des barbus mais des écologistes, qui savent aussi l’être, barbus — n’est pas non plus en reste. Avec par exemple le colis piégé qui a explosé à Olten, dans les locaux de Swissnuclear, et qui «aurait pu s’avérer mortel». C’est également pour venger l’arrestation des trois «éco-anarchistes» soupçonnés de préparer un mauvais coup contre IBM à Rüschlikon (ZH) que des tentatives d’attentats ont été perpétrées contre les ambassades suisses à Athènes et Rome.

Cette notion d’«éco-anarchisme» évoquée par Markus Seiler et le SRC semble bien prometteuse. Une mouvance d’avenir, en somme, avec des militants tous neufs, un peu comme les verts libéraux mais en plus agités, plus réveillés et un petit peu plus méchants aussi, bien sûr. Mais pas tellement plus futés. Choisir l’explosif et la violence aveugle pour promouvoir une Suisse sans atome est à peu près aussi cohérent que dénoncer le fascisme de l’UDC avec des méthodes parfaitement antidémocratiques.

On aurait peut-être tort d’en rire après tout. Ces braves gens là, ces activistes de gauche ont des connections diablement internationales et même franchement inquiétantes. C’est toujours notre perspicace Service de renseignement qui nous l’affirme. Par exemple avec le «Secours Rouge International». Ou la Fai — «Federazione Anarchica Informale».

«Informale»? Pourquoi ricaner? Al-Qaida aussi dans le fond était, et est sûrement toujours, quelque chose d’un peu «informale». Et puis il existe aussi des groupuscules tout à fait locaux, complètement AOC, comme la Raz — «Reconstruction révolutionnaire de Zürich». Réjouissante appellation qui paraît réaliser la prouesse rare d’un double oxymore.

Au total, ces extrémistes de gauche seraient près de 2000. 2000! Et pourtant il semble quand même difficile de trembler pour de vrai. Imaginons que ce même affûté Service de renseignement nous ait annoncé 2000 agents dormants, mettons, du terrorisme islamique. 2000 Ben Laden potentiels. Alors là du coup oui, chocottes et tremblements.

Mais 2000 «éco-anarchistes». Autant dire 2000 bras cassés, 2000 têtes de linottes, 2000 clowns, 2000 fantômes certes même pas drôles mais qui ne font même pas peur, surgis d’un passé vermoulu. Mais on ne s’en plaindra pas. Il s’agit peut-être d’une bienheureuse fatalité: devoir se contenter de ces adversaires-là. Chacun n’a sans doute — et cela vaut pour le nucléaire, l’UDC et, plus généralement, nos existences de citoyens suisses — que les ennemis qu’il mérite. C’est-à-dire à sa taille.

A Lausanne par exemple, où une initiative radicale a obtenu les 11’000 signatures nécessaires réclamant son éradication, on a très bien identifié la principale, la terrible menace: la mendicité «par métier». Ouf, plus rien à craindre. Mais quant à éradiquer la mesquinerie par profession, vu l’ampleur des cas recensés entre Ouchy et Sauvabelin, la tâche s’annonce autrement plus rude.