En Suisse, le droit à l’image est désormais mieux protégé que celui à une vie décente. Le Tribunal fédéral cherche des noises à Street View mais Doris Leuthard et ses complices, eux, courent toujours.
Hissons les couleurs: ce n’est pas tous les jours qu’une grande victoire patriotique peut se célébrer sans arrière-pensée. Le triomphe, qui plus est, d’un pays minuscule et démocratique, donc deux fois méritant.
Bref, une victoire de l’héroïque et vertueux timbre poste suisse, contre qui, contre quoi, s’il vous plait? Rien moins qu’un monstre, un vrai, un gros, multinational, américain, donc trois fois répugnant: oui, le pays de Guillaume Tell a terrassé l’hydre Google.
Le Tribunal fédéral a en effet donné raison au tout aussi fédéral préposé à la protection des données face au géant américain. La victoire, donc, du droit à l’image des Suisses contre les intérêts commerciaux du plus maousse des moteurs de recherche. Un droit «parfois» malmené, lorsque le floutage automatique des plaques d’immatriculation et des visages sur Street View laisse néanmoins apparaître, ici et là, quelques bouilles et codes minéralogiques trop facilement identifiables.
On mesure le drame, on imagine le choc. Se retrouver par exemple — c’est un exemple authentique — sur Street View à peu près reconnaissable au milieu d’une rue dite chaude, en train, détail aggravant, de se curer consciencieusement les trous de nez. Entre le ridicule et le droit à l’image, la frontière est parfois mince.
Mais «parfois», pour le Tribunal fédéral, c’est encore trop, et voilà désormais Google contraint de procéder à des vérifications manuelles de données et d’annoncer une semaine à l’avance le passage de ses voitures fouineuses.
Du coup le préposé fédéral, ou plutôt en l’occurrence son suppléant Jean-Philippe Walter ne se tient plus de joie dans «24 Heures»: «C’est une très grande satisfaction. C’est aussi la victoire du droit face à des entreprises multinationales qui ont un peu tendance à méconnaître et à sous-estimer la législation des Etats dans lesquels elles sont actives. Google a pensé qu’un petit pays ne pouvait pas aller contre un mouvement mondial. Visiblement, ils ont eu tort.»
On arrose, c’est sûr, les victoires que l’on peut. Celle-ci s’apparente quand même à une forme de pinaillage légèrement paranoïaque. Google fait valoir — pas tout à fait à tort — les services offerts par Street View aux Suisses et notamment à leurs instances touristiques. Mais, comme souvent dans les démocraties malades d’elles-mêmes, on semble chez nous bien chatouilleux sur l’insignifiant et l’anecdotique. On aime se focaliser sur l’accessoire, le dérisoire, le virtuel et nettement moins sur le réel, le concret, le vivant, l’important.
Nous voilà ainsi protégés des naïves indiscrétions de Google, mais plus tellement des affres du chômage longue durée. «Grâce» à une application expéditive et brutale, dès le 1er avril et sans vraies mesures transitoires, de la nouvelle loi sur l’assurance chômage. Une loi plébiscitée par une majorité alémanique moins sujette à la précarité de l’emploi que de l’autre côté de la Sarine où le projet n’avait pas trouvé grâce.
Une loi, comme on sait, qui gonfle les cotisations, rabote les prestations et les durées d’indemnisations et fait passer presque en douce quelques milliers de personnes de l’assurance chômage à l’assistance publique.
Se voir éjecter d’un coup de l’assurance chômage, c’est tout de même autre chose que d’être shooté au hasard par les cameras de Google. Sans parler de se faire tondre par un Conseil fédéral et une Doris Leuthard incapable d’imaginer d’autre politique des transports que celle consistant à ponctionner sévèrement l’usager, qu’il carbure au rail ou à la route. Que fait le Tribunal fédéral? Chômeurs et pendulaires réjouissez-vous: moins d’indemnités, une mobilité prohibitive, mais plus rien à craindre de Google. Yeah!