Adieu moutons noirs et minarets, les élections fédérales se joueront autour de la sortie du nucléaire. Les gagnants putatifs se disputent déjà la paternité de l’atomiquement correct. Analyse.
C’est évidemment sans appel: couleur désormais à la mode, le vert écrase tout sur son passage. Le Bade-Wurtemberg est tombé — les Grünen y ont rien moins que triplé leur score et se sont emparés d’un Land, une première dans l’histoire allemande. Lors des dernières cantonales, la France, terre nucléaire entre toutes, ne s’est pas non plus montrée insensible aux charmes nouveaux de ce spectre vert qui hante l’Europe.
Chez nous, le PDC et sa vieille âme montagnarde, qui n’avait jamais de mots assez forts des décennies durant, pour moquer l’écologie, cette diablerie urbaine, commence à envisager lui aussi l’impensable: le bye-bye au nucléaire. Doris Leuthard en est à raconter que ses soi-disant vieilles convictions pro-nucléaires ne lui avaient été attribuées, évidemment à tort, que parce qu’elle était argovienne. Même le président du parti radical Fulvio Pelli semble ne plus croire à l’avenir de l’indéboulonnable club des cinq centrales.
Cerise sur le réacteur, les Verts viennent d’entrer au gouvernement de Bâle-Campagne. Bâle-Campagne! Comme chaque fois qu’il s’agit de mener un combat populiste perdu d’avance (du genre la liberté pour chacun de fumer où bon lui semble), il n’y aura bientôt à ce rythme plus que l’UDC pour défendre encore l’atome.
Très logiquement, les sondages annoncent une percée de l’écologie aux prochaines élections fédérales. Significative pour les Verts Libéraux (+2,9%) — être de droite et contre le nucléaire, le cocktail semble explosif et payant, du moins à court terme. Plus modeste pour les Verts tout court, autrement dit les vrais Verts (+1,4).
D’où la tentation pour chacun de se trouver une âme et des gènes écolos aussi soudains que crédibles. Comme ces citoyens soviétiques jadis qui se cherchaient désespérément, quitte à l’inventer un peu, une arrière grand-mère juive pour pouvoir émigrer en Israël.
A commencer par un parti socialiste qui semble vouloir marquer les Verts à la culotte. Ainsi les camarades se sont précipités et ont réussi à présenter, un jour avant leurs amis écologistes, leur vision à eux d’une sortie rapide du nucléaire. Les 40% d’électricité manquants seraient compensés par la double baguette magique des énergies renouvelables (dopées par une taxe sur les kWh nucléaires, qui viendrait financer le photovoltaïque, l’éolien, la géothermie) et des économies d’énergie — élimination notamment des chauffages électriques. Magnifique. Mais comme la marge de manœuvre est très étroite dans ces domaines, les solutions socialistes ressemblent diablement au catéchisme en vigueur chez les Verts depuis toujours.
Seule différence, les écologistes entendent utiliser le coup de massue de l’initiative populaire tandis que les socialistes eux semblent préférer la plus tortueuse manœuvre d’une loi fédérale. Les Verts se sont un peu vengés de s’être fait griller la politesse, dès le lendemain. Alors que le PS décrète la fin du nucléaire pour 2025, eux proposent mieux, de justesse certes: ce sera 2024!
Le patron des Verts, Ueli «Climatique» Leuenberger, a beau proclamer très fraternellement que «savoir qui a été le premier opposant à l’atome n’a pas de sens», qu’il ne saurait y avoir «de droit d’auteur» sur ces questions. Personne ne peut croire pourtant que le PS puisse se targuer de la même légitimité, de la même crédibilité, de la même sincérité en matière de défense de l’environnement.
Un PS quand même tributaire d’un long passé ouvrier — qu’il semble s’acharner à vouloir oublier, comme s’il s’agissait d’un chancre indigne — et qui a longtemps préféré, non sans cohérence, l’être humain aux petites fleurs, l’emploi à l’air non irradié, l’industrie lourde au chômage bucolique. Mühleberg, combien de places de travail déjà?