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Le Gbagbo fantôme de Herrliberg

Du fin fond de la Côte dorée zurichoise, Christoph Blocher rêve donc d’un grand retour à Berne. Entre le caprice pathétique et l’épouvantail à moineaux. Que n’écoute-t-il sa si sage épouse…

On est un peu triste pour eux. Quand même, un si grand parti. Le premier de Suisse. Tellement en phase avec la population, n’est-ce pas? Tellement efficace, et si moderne dans sa communication, chaque fois, pan! dans le cœur de cible.

Oui, on est un peu triste pour l’UDC, cette belle machine à bouffer du scrutin. En être réduite à ça: ressortir Blocher de son trou doré. Comme si les radicaux cet automne présentaient en tête de liste la tête de lard Couchepin. Ou les socialistes allaient à la bataille avec Ruth Dreifuss en pétillant porte-drapeau. Imagine-t-on, enfin, le PDC axer sa campagne sur un retour du pontifiant docteur Deiss?

Voilà peut-être là un indice que l’UDC est bien d’abord une coquille rutilante, rutilante mais vide, et qu’elle tire sa force surtout d’épouvantails à moineaux judicieusement agités. Parmi lesquels la figure du tribun providentiel Blocher faisant barrage de son petit corps noueux pour repousser la perfide, la flasque hydre européenne. Ou ces cohortes d’étrangers à nos portes, évidemment paresseux et forcément malintentionnés — ce qui est déjà un peu contradictoire.

Certes, comme le dit le fielleux Fulvio Pelli, «M. Blocher a le droit de faire ce qu’il veut. Il n’y a pas de limite d’âge pour être candidat». Certes, encore, tout est possible. On peut prêcher les mêmes fariboles que Blocher sur le péril étranger, ou les péchés mortels de l’Union européenne, et prendre en plus de la coke, avoir fait de la prison, parler comme un gangster, avoir exercé la forte profession de maquereau et néanmoins faire gagner son parti.

C’était aux élections tessinoises, le week-end dernier et il s’agissait de l’impossible et peu impassible patron de la Lega, Giuliano Bignasca. D’ailleurs, il le dit lui-même dans le Matin: «Je ne suis pas un crétin. Si je parlais allemand, j’aurais été conseiller fédéral».

Certes encore les partis du centre — radicaux et PDC — n’en finissent pas de se faire tailler des croupières lors de scrutins cantonaux, au profit de l’UDC, des Verts libéraux, et même du fantomatique PBD. Ce qui peut laisser augurer d’un sérieux coup de sac dans les rapports de force et les trafics d’influence au sein de la nouvelle assemblée fédérale qui sortira des urnes cet automne. Avec comme corollaire une recomposition presque obligatoire du Conseil fédéral en faveur de l’UDC.

N’empêche, il ne s’est pas trouvé une voix à l’intérieur de l’UDC pour ricaner doucement, moquer en toute amitié ce caprice du grand homme: revenir sous la coupole.

Enfin si, quand même celle de Silvia Blocher qui sait bien que ça ne lui vaut rien, à son bon mari, ce come-back dans la mêlée. Qu’à son âge et avec son parcours, le mieux pour lui, c’est encore les dégustations de camomille fumante, un œil sur le lac du Zurich par la baie vitrée, un autre sur les Anker du salon — trempage de läkerli en option.

Silvia, tête froide dans cette tribu décidément agitée, a ridiculisé d’ailleurs le principal argument de son homme pour justifier cet injustifiable retour: sauver le parlement d’une europhilie prétendument galopante et contagieuse.

Qu’a dit en effet Silvia à Yverdon lors d’une réunion de femmes UDC? Que le principal mérite de son Christoph avait été de faire qu’aujourd’hui, en Suisse, «l’Union européenne, vous trouverez peu de gens qui veulent y entrer».

Au lieu d’écouter sa si sage épouse, l’incorrigible Golem de Herrliberg proclame qu’«on peut toujours recommencer depuis le début» et n’exclut même pas, suivant «les résultats de cet automne», un retour au Conseil fédéral. Et pourquoi pas Roland Collombin au Lauberhorn? Mario Prosperi dans les buts de la Nati? Lionel Jospin en 2012? Saint Gbagbo, patron des cramponnés, réveille-toi, tu n’es plus seul, Christoph aussi est devenu fou!