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Dépendance: le démon du jeu vidéo

L’addiction toucherait environ 2% des joueurs. Profil type: de jeunes hommes introvertis, adeptes de jeux de rôles en ligne de type MMORPG. Réponses de psychiatres.

C’est une première en Suisse: les Hôpitaux universitaires de Genève ont lancé l’été dernier une étude pour mieux connaître le profil et les motivations des amateurs du jeu de rôle en ligne «World of Warcraft.»

«Nous voulons déterminer le profil psychologique des joueurs, explique Gabriel Thorens, médecin psychiatre au service d’addictologie. Nous soumettons un questionnaire à des jeunes volontaires de plus de 18 ans, que nous pourrons ensuite suivre dans leurs jeux online.» La phase de récolte de données, qui durera jusqu’à la fin de l’année 2010, s’annonce prometteuse, avec déjà plus de 1400 participants et un taux de réponse de 70%.

«L’addiction, c’est la rencontre d’une certaine personnalité avec un certain produit, dans un certain environnement socioculturel, explique Marc Valleur, psychiatre à l’Hôpital Marmottan à Paris, qui reçoit chaque année environ 200 patients dépendants aux jeux vidéo. N’importe qui ne devient pas un addict du jour au lendemain. Il s’agit généralement de jeunes hommes introvertis, qui jouent à des jeux de rôles en ligne de type MMORPGs (Massively Multiplayer Online Role-Playing Games), dans un contexte où l’intégration dans le monde du travail est devenue de plus en plus dure.» Depuis les années 2000, les psychologues observent des problèmes de dépendance liés au jeu vidéo, qui concernent environ 2% des joueurs – à 95% des hommes et le plus souvent entre 17 et 20 ans, célibataires et qui vivent encore chez leurs parents.

Eviter les choix à l’âge du bac
Les addictions comprennent deux éléments, selon Marc Valleur: celui de la transgression et de la prise de risque, très présent dans la consommation de stupéfiants, et celui de refuge et de fuite face aux problèmes. L’addiction aux jeux vidéo concerne essentiellement ce dernier facteur, associé au refus de grandir: les jeunes dépendants sont caractérisés par de la timidité, voire de la phobie sociale. Ils proviennent souvent de familles divorcées, mal recomposées ou peu investies émotionnellement dans l’éducation de leurs enfants.

«Ce n’est pas un hasard si la majorité des joueurs qui posent problème ont l’âge de passer le bac, précise Marc Valleur. C’est une étape de la vie où il faut faire des choix – exactement ce qu’ils cherchent à éviter. Beaucoup de patients nous disent: «Je ne veux pas rentrer dans le moule, je n’aime pas les hiérarchies, l’entreprise ne m’intéresse pas.» Certains ont connu des déceptions amoureuses. Ils préfèrent fuir dans le monde virtuel, selon eux bien plus contrôlable, prévisible, voire juste que la vraie vie.»

Si la majorité des jeunes devient accro aux MMORPGs et pas aux autres jeux vidéo, c’est parce qu’ils possèdent des caractéristiques addictogènes bien précises – et souvent voulues par leurs concepteurs. «Ce jeux de rôle en ligne fonctionnent 24h/24 et cette permanence peut engendrer un stress, relève Corine Kibora, porte-parole d’Addiction Info Suisse. Même lorsque le joueur ne se trouve pas devant l’écran, il se passe des choses. Les MMORPGs sont conçus pour être chronophages.» Le fait que ces jeux fonctionnent sur la base de communautés interdépendantes de joueurs qui doivent s’allier engendre une pression considérable: on ne veut pas laisser tomber «ses amis» en pleine bataille.

Où se situe donc la limite entre passion et pratique compulsive? «Beaucoup de parents nous appellent car ils s’inquiètent que leur ado passe beaucoup de temps à jouer, indique Gabriel Thorense, qui reçoit aux HUG une trentaine de joueurs dépendants chaque année. Or, l’addiction n’est pas liée à un nombre d’heures, mais à une perte de maîtrise.» Pour les professionnels, les symptômes rélèvent une souffrance et des problèmes réels: perte d’intérêt pour les autres loisirs, retrait social et négligence des relations avec autrui, nervosité ou agressivité en cas de privation, dérobade devant les remises en question de l’entourage, problèmes à l’école ou au travail ainsi que modification du rythme de sommeil, des habitudes alimentaires et des postures.

«En gros, nous intervenons lorsque le patient a perdu la liberté de s’abstenir, indique Marc Valleur. Il se rend compte des conséquences négatives et souhaite arrêter de jouer, mais n’y arrive pas tout seul.»

Une pathologie non reconnue
Contrairement à la dépendance aux jeux d’argent, celle aux jeux vidéo n’est pas inscrite dans le «Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux» (DSM). Si les spécialistes observent tous des usages problématiques des jeux vidéo, ils ne sont pas toujours d’accord pour les qualifier d’addiction.

C’est le cas de Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et directeur de recherches à l’Université Paris X, qui a publié de nombreux ouvrages sur notre rapport aux technologies. «L’addiction aux jeux vidéo n’existe pas, leur usage problématique oui. Ce comportement reflète des troubles psychiques comme la dépression ou la phobie sociale mais ne constitue pas un trouble en soi. A notre époque, les adolescents font leur crise avec les jeux vidéo. Avant, ils la faisaient avec une guitare électrique. C’est une phase de laquelle ils se remettent tout seuls, à moins qu’ils ne souffrent déjà de comorbidités, à savoir d’autres troubles psychiques.»

Certaines études ont montré que les circuits dopaminergiques du cerveau étaient modifiés chez les personnes dépendantes des jeux vidéo. Elles ressentiraient ainsi un plaisir similaire à ceux des alcooliques en jouant. Cela ne convainc pas Serge Tisseron: «Chez les adolescents, le lobe frontal, qui contrôle les envies et les pulsions, n’est pas encore bien développé. On ne peut donc pas parler d’addiction. Par contre, on peut dire que tout passe par l’éducation. C’est là que se situe le problème.»

Mais la conception de l’addiction de Serge Tisseron ne fait pas l’unanimité. «Sa vision est très biologique, avance Marc Valleur, alors que les dépendances concernent des phénomènes psychosociaux. Les thérapies pour des addictions sans ou avec substance sont d’ailleurs similaires: le sevrage physique dure environ une semaine, mais c’est la guérison psychologique qui est décisive.» Le psychiatre considère cette seconde phase comme particulièrement ardue dans les addictions aux jeux vidéo: «Ces jeunes ont en général perdu deux ou trois ans de leur vie et accumulé des retards scolaires, professionnels ou affectifs par rapport à leurs camarades. C’est difficile et long à rattraper.»

Le psychiatre Gabriel Thorense dénonce un alarmisme démesuré: «Je vois une diabolisation des jeux vidéo. Elle est due au fossé générationnel avec des parents qui ne connaissent pas les jeux vidéo et avec les médias qui en parlent de façon négative.»

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Une version de cet article est parue dans Reflex Magazine.