CULTURE

Culture, colère et gros sous à la RTS

L’audiovisuel public s’est attiré la colère de ses employés en confiant son émission culturelle à un partenaire privé. Avec un richissime sponsor en coulisse.

Pourquoi la RTS a-t-elle brusquement décidé de remplacer son rendez-vous culturel Tard pour Bar par une émission qui sera coproduite par la société privée Point Prod? Surpris, les journalistes de la maison ont adressé à la fin de janvier une lettre à la direction, soulignant la mise à l’écart «d’entrée de jeu» de compétences internes; une décision d’autant plus étonnante que la RTS «possède une des rédactions culturelles les plus importantes et compétentes de cette région du pays». Née à la suite de la fusion de la radio et télévision publiques, cette rédaction compte effectivement 60 collaborateurs.

La direction a répondu à ce courrier, mais ne démord pas: «L’externalisation de certaines productions est une pratique courante en télévision, justifie Gilles Pache, directeur des programmes. La concession prévoit d’ailleurs que nous proposions une part appropriée du marché à l’industrie audiovisuelle suisse indépendante.» Certains employés avancent une version différente: cette décision serait liée «à un gros sponsor», la Fondation Hans Wilsdorf, propriétaire du groupe Rolex (lire ci-dessous). «Cet aspect-là n’a pas influencé ma décision, mais il ne me fait pas rougir, se défend le directeur des programmes. Je parlerais plutôt de « mécénat », car le soutien de cette fondation n’est pas comparable à du sponsoring commercial.» Gilles Pache n’a pas souhaité dévoiler le montant de ce don. Toujours au chapitre financier, des sources internes assurent «qu’aucun franc du service public n’ira à l’entreprise privée» et que «le nouveau magazine coûtera moins que Tard pour Bar à la RTS».

La future émission, dont le titre n’a pas encore été choisi, pourrait être diffusée dès l’arrêt de Tard pour Bar, à la fin de mars. «Elle s’inspirera de Quartier libre, présenté par Iris Jimenez et diffusé jusqu’en juin 2010 sur la chaîne privée genevoise Léman Bleu», détaille David Rihs, directeur de Point Prod. L’ex-speakerine, aujourd’hui employée par la société privée, prendra également les commandes de la future émission. «Nous travaillons main dans la main avec la RTS pour affiner le concept, poursuit David Rihs. Il s’agira de réunir des invités de tous bords autour d’Iris, dans différents lieux de Suisse romande. Mais tout reste ouvert.»

Du côté de la RTS, ce choix de recourir à des partenaires privés est perçu comme une vexation. Pour expliquer sa décision, la direction évoque un manque de compétences disponibles à l’interne. «Parmi nos 60 collaborateurs qui travaillent pour la rédaction culturelle, 58 sont formés pour la radio, précise Alexandre Barrelet, rédacteur en chef de ce service. Pour l’instant, personne n’est capable ou disponible pour assumer une émission de télévision hebdomadaire sans nuire à une autre production. Lorsque David Rihs et Iris Jimenez — qui connaissent bien la maison — nous ont proposé un concept convaincant, nous avons accepté. Dans l’urgence, nous ne pouvions pas agir autrement.»

Urgence? «C’est cette précipitation que nous regrettons, précise l’un des employés signataires de la lettre. En six semaines, il est difficile de mettre en place un concept télévisuel, mais pourquoi devoir agir aussi vite, sans prendre le temps de consulter les journalistes culturels de la RTS?» Il semble en effet que rien ne justifiait une décision hâtive. Michel Zendali, qui a lui-même souhaité arrêter Tard pour Bar («Une émission lourde à réaliser»), se disait prêt à poursuivre son mandat «jusqu’en juin, ou de l’animer en alternance avec sa chroniqueuse Claire Burgy.» Pourquoi la direction a-t-elle refusé? «Je ne voulais pas prolonger la diffusion de Tard pour Bar en sachant que son présentateur avait fait part de sa lassitude, justifie Gilles Pache. L’émission aurait perdu de sa saveur, et l’audience risquait de s’éroder.»
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Un généreux donateur

On en sait peu sur la Fondation Hans Wilsdorf. Propriétaire exclusive du groupe Rolex, elle décerne chaque année des dizaines de dons généreux à des projets les plus divers — la passerelle des Vernets, à Genève, a par exemple été financée grâce à son soutien. Le milieu culturel en est l’un des principaux bénéficiaires. La Fondation pour la promotion de lieux pour la culture émergente, qui soutient des anciens d’Artamis, a obtenu de la Fondation Wilsdorf un don de 6 millions. La Haute Ecole d’art et de design (HEAD) recevra, quant à elle, près de 250’000 francs par an pour son nouveau Design Incubator.
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.