Les jeunes pousses se développent comme jamais en Suisse romande. Mais lesquelles ont vraiment le potentiel pour devenir des piliers de notre économie? Présentation.
Il n’aura pas fallu plus d’une décennie pour que la Suisse devienne un terreau particulièrement fertile pour les start-up. Encore à la traîne dans les années 1990 en matière d’innovation, le pays figure aujourd’hui en tête dans les classements internationaux, nettement devant ses voisins français, allemand ou italien. D’après les chiffres de la Commission technologie et innovation à Berne, il se crée chaque année en Suisse plus de 150 entreprises dans des domaines d’activités à forte valeur ajoutée, tels que le medtech ou le biotech.
La volonté politique de miser sur la recherche et l’innovation a donc payé, comme le souligne Jean-Pierre Vuilleumier, directeur de CTI Invest, plateforme d’aide aux jeunes entreprises: «Les programmes de soutien et de coaching se sont multipliés ces dernières années. Les start-up suisses profitent aujourd’hui d’un environnement absolument exceptionnel, sans comparaison dans le monde. De plus, une collaboration très efficace s’est développée entre les milieux académiques et l’économie.»
Pas étonnant, donc, que les jeunes entreprises suisses naissent très souvent sur les campus des écoles polytechniques ou des universités.
S’il reste évidemment difficile d’identifier la start-up suisse idéale, celle qui deviendra une success story, certains domaines d’activités ont les faveurs des investisseurs. Actuellement, les regards se tournent en premier lieu vers le medtech, un secteur à très fort potentiel. «Pour créer de bonnes conditions d’investissements dans un secteur donné, il faut ce que l’on appelle des masses critiques, soit une certaine quantité de savoir-faire à tous les niveaux, avec des gens qui connaissent le métier, explique Alain Nicod, directeur du fonds de capital-risque Venture Incubator. En Suisse, ces conditions sont parfaitement remplies dans les domaines du medtech.
Potentiel
Les investisseurs s’engagent sur des modèles éprouvés et qui répondent à un besoin; ils savent que le lancement d’un produit va coûter plusieurs dizaines de millions. En revanche, ils entrevoient la possibilité qu’il en rapporte des centaines de millions.»
Parmi les entreprises qui ont ouvert la voie, on peut citer Sensimed, spin-off de l’EPFL lancée en 2003, qui fabrique et commercialise des microsystèmes intégrés pour les dispositifs médicaux; et aussi la lausannoise Symetis (lancée en 2005), qui développe des valves cardiaques, ou encore la genevoise Endosense (2003), spécialisée dans la fabrication de cathéters. Plus récente (été 2008), la société Aïmago, également une spin-off de l’EPFL, fait déjà parler d’elle. Ses fondateurs ont développé un laser qui permet de visualiser en temps réel la circulation sanguine.
Convaincre
Cette effervescence crée un cercle vertueux, si bien que le medtech devient en Suisse un écosystème toujours plus complet, avec des atouts qui permettent de rayonner à l’international: «Dans ce domaine, la réputation d’excellence des entreprises suisses est faite, observe Christian Waldvogel, associé-gérant de Vinci Capital, société de private equity basée à Lausanne. Les meilleures conditions sont réunies avec la présence en Suisse de grands groupes tels que Medtronic, leader dans les technologies médicales, et aussi un tissu très riche de sous-traitants en micromécanique et microélectronique qui émanent de l’industrie horlogère de très haute précision. Ce savoir-faire apporte une forte valeur ajoutée. Prenez le cas de la start-up lausannoise Endoart, spécialisée dans les implants télémétriques; elle a été rachetée en 2007 par le géant américain Allergan, leader mondial dans le traitement de l’obésité, qui en a fait son centre de développement et de fabrication d’anneaux gastriques.»
Par rapport aux start-up qui se lancent dans le biotech (science du vivant), les jeunes pousses du medtech (instruments médicaux) ont plus de facilité à convaincre les investisseurs: «Dans le medtech, les montants restent raisonnables, souligne Christian Waldvogel, de l’ordre de 30 ou 40 millions de francs pour la commercialisation d’un produit sur le marché, contre plus de 100 millions dans le biotech. En outre, on peut espérer un retour sur investissement plus rapidement dans le medtech, soit après trois ans en moyenne.»
Réseaux
Dans un tout autre registre, des start-up suisses se distinguent également, depuis quelques années, dans un domaine où on ne les attendait pas forcément: les services sur Internet et les technologies qui surfent sur la vague des réseaux sociaux. Tout le monde ne le sait pas, mais la célèbre application en ligne Doodle, qui permet de trouver facilement la meilleure date pour un événement entre amis, est le produit d’une start-up zurichoise lancée en 2007.
Il faut aussi citer l’entreprise lausannoise Poken, qui commercialise de petites figurines destinées à remplacer les traditionnelles cartes de visite (les données enregistrées s’échangent par simple contact entre les figurines). Lancée également en 2007, Poken compte aujourd’hui plus de 20 employés et des bureaux de représentation dans une cinquantaine de pays. Et le développement devrait s’accélérer puisqu’au début du mois de novembre, Poken a levé 2,5 millions de francs auprès de la société de capital-risque SVC-SA.
Housetrip.com figure parmi les autres exemples inattendus, dans le secteur du tourisme. Cette plateforme lancée à Lausanne en début d’année rend la réservation d’un appartement de vacances aussi facile que celle d’une chambre d’hôtel. Le concept a séduit les investisseurs, ce qui a permis au fondateur Arnaud Bertrand de lever récemment un million de francs. Un montant qui, même au moment le plus frénétique de la new economy, aurait été considéré comme un exploit…
Prophétie
Et il faut bien sûr mentionner Paper.li, le nouveau venu qui agite la toile depuis quelques semaines, en transformant Twitter en journal (Paper.li agrège, classe et répertorie les messages dans des rubriques spécifiques). Le site attire plus de 1000 nouveaux abonnés par jour. Son fondateur, Edouard Lambelet, a déjà levé 2,5 millions de francs, dont une bonne partie auprès de business angels et du fonds Kima Ventures.
Si ces investissements n’ont certes rien de commun avec les sommes consacrées au démarrage de sociétés de medtech ou de biotech, ils n’en demeurent pas moins spectaculaires dans un secteur où il reste difficile de monétiser son produit, notamment à l’international. «Ce que réalisent ces nouvelles start-up, à l’instar de Paper.li, est assez remarquable, souligne à ce propos Alain Nicod. Leur business model ne correspond pourtant pas au code génétique habituel des start-up suisses.»
Pour Jordi Montserrat, directeur de l’agence pour la promotion de l’innovation Venturelab, la vague des réseaux sociaux présente un nouveau potentiel à ne pas sous-estimer: «Les entreprises telles que Poken ou Paper.li ont su repérer la bonne opportunité au bon moment. Elles peuvent tirer parti de l’effervescence qui règne dans leur domaine d’activité. Lorsque tout le monde est persuadé qu’un secteur va décoller, la prophétie finit souvent par se réaliser.»
D’autres domaines d’activités peuvent également réserver de bonnes surprises. C’est le cas du cleantech, où la Suisse compte par ailleurs des représentants d’envergure internationale, comme la société cotée en Bourse Meyer Burger Technology, spécialisée dans la découpe de panneaux solaires.
Prudence
Christian Waldvogel, de Vinci Capital, estime toutefois que la multiplicité de sociétés dans ce domaine invite aujourd’hui les investisseurs à la prudence: «Le marché est déjà bien mature avec des entreprises très bien implantées. Pour les nouvelles start-up, il devient difficile de se différencier de la concurrence.» Au plan local, on assiste toutefois à de belles réussites, comme celle de la société lausannoise Quantis, par exemple, spécialisée dans l’analyse de l’écobilan de produits et d’entreprise. La société lancée en 2006 emploie 26 collaborateurs.
Faut-il enfin rappeler qu’un business model, aussi convaincant soit-il, ne fait pas tout. Reste encore aux nouveaux entrepreneurs à prendre les bonnes décisions en termes de management. «Souvent les scientifiques ont tendance à s’entourer uniquement d’autres scientifiques, note Christian Waldvogel; c’est une erreur stratégique car on renforce ainsi un aspect qui est déjà bon, au détriment d’autres compétences… Les start-up qui réussissent le mieux combinent généralement l’excellence scientifique et les qualités managériales.»
_______
Une version de cet article est parue dans PME Magazine.