KAPITAL

Le nouveau visage de Kaba

Devenue un géant mondial, la société zurichoise Kaba mise sur le segment haut de gamme avec des solutions aux technologies innovatrices. Histoire.

Si la marque Kaba est bien connue des Suisses, qui l’assimilent spontanément aux clés et aux serrures, peu d’entre eux soupçonnent le virage high-tech pris ces dernières années par l’entreprise zurichoise, fondée au XIXe siècle. Aujourd’hui, Kaba s’est diversifiée avec succès dans les contrôles d’accès électroniques, portes automatiques et interfaces de communication: elle équipe dans le monde entier les infrastructures les plus sensibles, des locaux du Pentagone au métro de Hong Kong ou Paris, en passant par l’aéroport de Zurich.

Le grand public ignore presque tout de ces développements. Qui se doute par exemple que Kaba équipe les deux tiers des bancomats installés dans le monde, en fournissant les coffres et les mécanismes de distribution de billets? Dans un registre beaucoup plus visible, la firme suisse est aussi très fréquemment impliquée dans des chantiers grandioses, qu’il s’agisse des nouvelles portes d’accès à la plateforme de la tour Eiffel, du système de sécurité du Casino MGM CityCenter de Las Vegas ou encore celui du Shanghai Center, un gratte-ciel de 630 mètres de haut. Outre les bâtiments publics et les hôtels, les banques et assurances forment un segment important de sa clientèle.

Il n’y a qu’en Suisse que Kaba occupe une place centrale sur le marché résidentiel privé. A l’étranger, la firme zurichoise se distingue de ses principaux rivaux en se concentrant essentiellement sur les produits haut de gamme pour entreprises, un marché en croissance annuelle de 10%. «Nous ciblons des secteurs de niche qui requièrent des solutions ciblées», explique Saskia Hengartner, porte-parole de Kaba. C’est le cas de la serrure développée pour les conteneurs maritimes, qui garantit qu’ils ne puissent pas être ouverts avant d’atteindre leur destination finale, détectée grâce à une puce GPS. Dans les hôtels de luxe également, Kaba fait fort: les badges RFID (Radio Frequency IDentification) permettent non seulement d’accéder à la chambre, mais règlent aussi automatiquement la température, la luminosité et la chaîne de télévision selon les préférences du client lorsqu’il entre dans celle-ci. Le tout se contrôle facilement depuis la réception de l’hôtel.

Vision à long terme

Avec 3% de parts de marché, Kaba arrive en troisième position au niveau mondial, derrière le leader suédois Assa Abloy (13%) et l’américain Ingersoll Rand (8%). Près de 70% de son revenu provient de la modernisation des systèmes de sécurité de clients déjà existants, rendant Kaba relativement indépendant des aléas du secteur de la construction.

«Assa Abloy bénéficie aussi d’une clientèle institutionnelle préétablie: hôpitaux, écoles et gouvernements, souligne Klas Bergelind, analyste à la banque RBS. Ingersoll Rand, en revanche, dépend beaucoup plus du marché de l’immobilier.» Contrairement à ses compétiteurs, le groupe suisse commercialise la plupart de ses produits sous une seule marque. Il jouit ainsi d’une grande visibilité auprès des utilisateurs finaux.

Et pour consolider sa stratégie «premium», qui vise le segment haut de gamme, Kaba mise résolument sur l’innovation. «Sa force est d’orienter sa vision à long terme pour s’assurer le leadership technologique, plutôt que d’essayer de générer des bénéfices du jour au lendemain», souligne Oskar Schenker, analyste à la banque Sarasin. L’entreprise investit chaque année près de 4% de son chiffre d’affaire en recherche et développement, «le double de nos concurrents», précise Rudolf Weber, CEO de Kaba.

Nouveau concept visuel

Déjà en 1934, c’est une invention historique qui a fait décoller Kaba: la clé réversible, qui s’insère dans la serrure quel que soit le sens. Plus récemment, la firme zurichoise a mis au point la technologie «RCID» (Resistive Capacitive IDentification), un système se servant de la charge électrostatique du corps humain pour transmettre des informations d’identification. L’avantage: une porte verrouillée peut maintenant être ouverte en touchant simplement la poignée, à condition d’avoir un petit boîtier transpondeur dans sa poche ou son sac. Plus besoin, donc, de faire l’effort de chercher ses clés. Les signaux transitent par le corps et la poignée, avant que la serrure ne les intercepte et vérifie l’autorisation d’accès. La tension électrostatique est des millions de fois inférieure à celle générée en se peignant les cheveux.

«En termes de sécurité, cette technologie surpasse les solutions sans fil, comme Bluetooth ou RFID car il n’est pas possible de se placer entre l’émetteur et le récepteur pour espionner les communications, explique Elgar Fleisch, professeur à l’EPFZ. De plus, le système RCID requiert moins d’énergie, ce qui est avantageux pour les batteries.»

Kaba a dernièrement lancé sa serrure «TouchGo», basée sur RCID: les autorités saint-galloises comptent parmi les premiers à l’avoir installée. Avant cela, l’entreprise a équipé des établissements pilotes avec succès, dont un centre pour handicapés moteurs à Wetzikon, dans le canton de Zurich, où les serrures ont une utilité évidente.

Kaba poursuit le développement de ses produits: les récepteurs pourraient à l’avenir être incorporés au sol, permettant l’ouverture des portes sans aucun contact physique. L’identification RCID servirait même bientôt à d’autres domaines d’application, comme les bancomats. «Ce système laisse les mains libres aux utilisateurs, c’est la tendance que prend la sécurité d’aujourd’hui: une sécurité très efficace mais qui ne se voit pas», résume Rudolf Weber.

Outre la haute technologie, Kaba mise sur le design de ses produits pour se démarquer de ses concurrents sur le marché premium. Un nouveau concept visuel vient d’être défini en collaboration avec une agence lucernoise, qui a fourni un design épuré et rendu l’utilisation intuitive. Kaba insiste d’ailleurs sur le fait que ses produits n’ont jamais de fonctions superflues. Ils allient qualité, innovation technologique et design allant à l’essentiel: une image très «Swiss Made» que le groupe devenu global souhaite se donner.