LATITUDES

Rencontres: les célibataires redécouvrent la convivialité

Ras-le-bol des sites de rencontres et du «speed dating»? Pour trouver l’âme sœur, les célibataires en reviennent à des modes de sociabilisation plus traditionnels. Exemples et témoignages.

Un jeudi d’octobre, une pizzeria des Pâquis, à Genève. Une quarantaine de personnes se retrouvent pour cette soirée baptisée «Au Menu». Autour de chacune des sept tables sont assis trois hommes et trois femmes. Si certains sont arrivés en groupe, la plupart des convives ne se connaissent pas. Leur point commun? Ils souhaitent rencontrer de nouvelles têtes, avec l’espoir, pour certains, de trouver l’homme ou la femme de leur vie.

Rien que de très banal, somme toute. Et pourtant, le concept fait fureur aujourd’hui. Ces célibataires se réunissent lors de soirées où prime un mot d’ordre: convivialité. En tête de liste, les fameuses pasta parties, nées cette année en France et dont les premières éditions suisses sont prévues au début de 2011, qui rassemblent des participants autour d’un plat de pâtes. Si l’on y rencontre la perle rare, tant mieux! Au pire des cas, on aura passé un moment agréable et fait la connaissance de celles ou ceux qui deviendront peut-être des amis.

On est bien loin des supermarchés de la rencontre que représentent les sites internet et autres soirées speed dating. «J’ai effectué un sondage auprès de 100 personnes: plus de 80 ont déclaré en avoir assez de ce genre de méthodes», dit Christina Rossi, instigatrice de la soirée genevoise Au Menu. Un ras-le-bol qui illustre à merveille le retour à la lenteur prônée par les mouvements slow food ou les actions telles que slow up, qui prônent la mobilité douce. Bienvenue dans l’ère du slow dating.

«Nous retrouvons des schémas de sociabilisation traditionnels, explique Marie-Noëlle Schurmans, professeure de sociologie à l’Université de Genève et auteure de plusieurs ouvrages sur le thème de la rencontre amoureuse. Nous les avions un peu perdus de vue, il faut donc les réinventer. Redécouvrir le plaisir des interactions dont le but n’est pas défini, rendre sa place à l’imprévu.»

Un retour aux sources qui s’inscrit dans une volonté de résistance face à «l’infiltration de la logique d’entreprise et de notions telles que rapidité, performance, rentabilité, efficacité, dans notre vie privée, dit Marie-Noëlle Schurmans. Le speed dating en était une flagrante manifestation: on y retrouvait le concept de clientèle, de vente.» Plus question donc de tête-à-tête oppressants vécus comme des entretiens d’embauche ou de rencontres sur internet qui se soldent trop souvent par une déception.

«Je voulais avant tout organiser quelque chose de simple, de convivial, détaille Christina Rossi. Les participants ne sont obligés à rien et, je l’espère, ne devraient ressentir aucune pression.» Parmi les inscrits d’ailleurs, tous ne sont pas à la recherche de l’âme sœur. «Je les avais rencontrés à l’avance, afin d’évaluer leurs attentes et d’établir au mieux mon plan de table.» Quelle que soit leur motivation, ils étaient donc assurés d’être placés aux côtés de convives sur la même longueur d’onde. Deux outils à leur disposition: la possibilité de changer de table entre deux plats ou de se retrouver seul avec celui ou celle qui en a l’envie réciproque.

«Tout s’est déroulé à merveille, se réjouit l’organisatrice. J’ai reçu énormément de feedbacks positifs: les participants ont vraiment passé une bonne soirée! Et il m’a bien semblé que certains flashaient l’un sur l’autre. Quelques- uns ont d’ailleurs demandé à être déplacés à une table pour deux…» Forte de ce succès — il s’agissait de sa première soirée — Christina Rossi remettra le couvert dès la mi- novembre avec l’idée d’organiser deux soirées par mois. Et peut-être aussi une fête de Nouvel An ainsi que des cours de salsa.

Concept similaire du côté de Neuchâtel et de Nyon: Daniel et Valérie Chapatte viennent de lancer l’Opération Séduction. Lors de leurs soirées, chaque participant amène, si possible, un ami célibataire du sexe opposé. Objectif semblable: créer une atmosphère agréable, conviviale afin que les inscrits se sentent le plus à l’aise possible. «A terme, nous souhaiterions également organiser des journées à thème, explique Daniel Chapatte. Réunir des personnes seules lors de sorties sportives, touristiques ou culturelles.» L’occasion de se rencontrer autour d’une activité sympa, dans une atmosphère plus sereine qu’un tête-à-tête. D’ailleurs, c’est durant une journée ski de fond entre célibataires que Daniel et Valérie ont eux-mêmes lié connaissance (lire le témoignage ci-dessous).

Autre avantage de ce système: il est déclinable à l’infini. Voilà cinq ans que des célibataires vendangent ensemble dans le canton de Vaud. Quant à l’organisation française Rando-Célibat — qui compte de plus en plus d’inscrits suisses — elle permet à des adeptes de la marche de lier connaissance avec des gens qui partagent la même passion. «Ce genre de cadre naturel favorise la spontanéité, souligne le fondateur Didier Aliga. Mais attention, nous ne sommes pas des marieurs. Bien sûr, il arrive que des couples se forment, mais les participants ne viennent pas ici pour séduire.»

Ce retour aux sources atteint son paroxysme avec le site On Va Sortir, qui se définit clairement comme un lieu de rencontres amicales. Dragueurs s’abstenir! Théâtre, badminton, pizzeria, jeux de société, lecture de contes, zoo, etc., chacun est libre d’organiser la sortie de son choix et de participer à celles qui l’intéressent. Née en France, l’organisation dispose d’antennes à Genève, Lausanne, Berne et Zurich et tend à se développer dans d’autres régions de Suisse (lire le témoignage de Sandie en page 43). Bien qu’il ne s’adresse pas spécifiquement aux célibataires, «ce site est formidable pour eux», s’enthousiasme Odile Lamourère, conseillère conjugale française, coach amoureuse et auteure de nombreux ouvrages sur la séduction. «Il leur permet d’organiser leur propre vie en solo, les aide à se sentir mieux dans leur peau, et les encourage à sortir en bande, détournant ainsi certains d’entre eux de l’obsession de trouver l’âme sœur.» Et si cela leur donne l’occasion, en plus, de vivre une belle histoire, c’est encore mieux.
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À lire:

«Les solitudes». De Marie-Noëlle Schurmans. Presses universitaires de France, 2003.
«Séduire un homme à coup sûr. Séduire une femme à coup sûr». D’Odile Lamourère. Jouvence, 2010. Son site: celibinfos.monsite-orange.fr

Sur le net:

www.pastaparty.com
operationseduction.blog4ever.com
www.randocelibat.com
www.onvasortir.com
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TEMOIGNAGES

«J’ai fait plein de belles rencontres humaines!»
Sandie, 28 ans, Besencens (FR)

Infirmière et française, elle est inscrite depuis janvier sur le site On Va Sortir.

«J’ai fait plein de belles rencontres humaines! Je me suis liée d’amitié avec une fille de mon âge, ainsi qu’avec un couple de retraités que je n’aurais jamais fréquenté autrement…» Enchantée par son expérience sur On Va Sortir (OVS pour les initiés. Les participants s’appellent quant à eux les OVSiens), Sandie ne tarit pas d’éloges sur le site. «Les sorties sont conviviales, l’ambiance est toujours à la bonne humeur, sans prise de tête.» Installée en Suisse pour une année depuis le mois de janvier, cette infirmière française de 28 ans s’est inscrite dans le but de faire de nouvelles rencontres: «Quand j’ai débarqué dans ce pays, je ne connaissais personne. L’expérience a donc été très utile pour moi. Mais certains OVSiens ont toujours vécu en Suisse et y trouvent aussi leur compte.» L’idée qu’elle pourrait peut-être, par ce biais, rencontrer l’homme de sa vie ne lui a-t-elle pas traversé l’esprit? «Non. Pour ça, je vais sur d’autres sites, comme Meetic. Je ne participe pas aux sorties OVS dans l’optique de plaire. D’ailleurs, les chasseurs sont rapidement remis à leur place.» Aucune mauvaise expérience pour elle de ce côté-là, si ce n’est un utilisateur qu’elle ne connaissait pas lui ayant proposé une sortie en tête-à-tête. «Je me suis contentée de lui expliquer que ce n’était pas le but du site, et il a très bien compris.» Bien sûr, elle ne tournerait pas le dos si, au fil des rencontres, le grand amour venait taper à sa porte…
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«Il m’avait tapé dans l’œil, mais je n’étais pas vraiment à la recherche de l’âme sœur»
Valérie et Daniel Chapatte, 37 ans, Neuchâtel

Tous deux instigateurs de l’Opération Séduction à Neuchâtel et à Nyon, ils se sont rencontrés lors d’une sortie à ski entre célibataires.

Saint-Cergue, janvier 2006. Au programme, pour cette balade entre célibataires: randonnée à ski de fond suivie d’une fondue. Organisateur de l’événement: Daniel Chapatte. «Cela faisait quelque temps que j’organisais des journées à thème, explique aujourd’hui ce Neuchâtelois de 37 ans. Elles n’étaient pas spécifiquement réservées aux célibataires, mais beaucoup de personnes seules y participaient. Pour ma part, j’avais déjà essayé le speed dating, et j’en étais revenu: on aurait dit une foire aux chevaux!» Parmi les inscrits, ce fameux jour de janvier, Valérie, qui avait bien failli tout annuler au dernier moment. «J’étais censée venir avec un copain, se souvient-elle, mais il était malade. Je n’avais pas vraiment envie d’y aller seule, puis finalement je me suis décidée.» Un appel du destin? Peut-être… Le coup de foudre n’aura toutefois pas lieu ce jour-là. «J’étais là en tant qu’organisateur, souligne Daniel. Je ne pensais pas que je rencontrerais quelqu’un.» Quant à Valérie? «Il m’avait tapé dans l’œil, reconnaît-elle, mais je n’étais pas vraiment à la recherche de l’âme sœur.» De week-end en Alsace en soirée bowling, d’autres sorties en groupe suivront la première. Daniel et Valérie apprennent à se connaître et à s’apprécier… pour finalement échanger leur premier baiser lors du Paléo. Aujourd’hui mariés et parents de deux petits garçons, ils ont créé le concept de soirées Opération Séduction, pour permettre à des célibataires de se rencontrer, comme eux l’ont fait, à l’occasion de sorties conviviales.
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«Je ne me sentais pas du tout stressé»
Philippe Sillard, 46 ans, Genève

Il a participé à la première édition de la soirée Au Menu, à Genève.

«J’ai bien rencontré quelqu’un qui m’a plu, mais est-ce réciproque?» L’histoire ne le dit pas encore. Une chose est sûre toutefois, Philippe Sillard, 46 ans, est satisfait de la soirée Au Menu à laquelle il a participé à Genève le 21 octobre dernier. «Après une première demiheure d’observation, l’ambiance à ma table était vraiment décontractée. Bien sûr, on s’attend malgré soi au coup de foudre, donc on est forcément un peu déçu si cela ne se produit pas. Mais j’étais heureux de sortir, de rencontrer des gens. Je ne me sentais pas du tout stressé.» Voilà quatre ans que le Français s’est installé dans la Cité de Calvin et il n’a pas encore eu le temps de se constituer un cercle d’amis. «Les deux-trois premières années étaient consacrées à l’installation de mon cabinet de médecine esthétique, explique-til. Mais maintenant, j’ai envie de connaître de nouvelles personnes, et pourquoi pas, de rencontrer quelqu’un.» Après un passage sur internet, ce divorcé a vite déchanté. «J’ai eu l’impression que 99% des contacts étaient bidons. En revanche, j’ai trouvé le concept Au Menu intéressant, convivial. Il n’y a pas grand-chose à perdre… D’ailleurs, il y avait au moins deux personnes, à ma table, avec qui je pourrais me lier d’amitié.»
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.