LATITUDES

Le mot du jour: lapidation

Tandis que le ministre français Eric Woerth, mis au pilori par la presse, invoque pour sa défense une “lapidation médiatique”, l’Irannienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, jugée coupable d’adultère, risque de son côté une mise à mort bien réelle. Un égarement linguistique qui n’a pas échappé à notre chroniqueur.

Eric Woerth, le désormais fameux ministre du Travail de la République française, a le goût des images fortes quand il évoque son destin personnel. Celui-ci, rappelons-le, est victime d’une météo conjoncturelle tourmentée. On soupçonne le bonhomme d’avoir confondu beaucoup d’intérêts personnels et généraux. Et d’avoir souvent subordonné les principes de la politique à la politique de réseau.

C’est d’ailleurs bien pourquoi la presse talonne Eric Woerth depuis quelques semaines, notamment dans le cadre de l’affaire Bettencourt qui le concerne de près. Eh bien l’autre jour, le 30 août dernier, notre homme explique au Parisien/Aujourd’hui en France qu’il subit «une sorte de lapidation médiatique»: un «acharnement (…) fait pour tuer».

Une «lapidation»? Sapristi! Le vocable est chargé. Il désigne comme on sait «l’action de tuer à coups de pierres». Un mot qui place sans faillir la petite histoire d’Eric Woerth dans la grande Histoire des peuples et des religions, celle qui nourrit fatalement le surmoi collectif des sociétés modernes.

Voici donc le ministre du Travail français somptueusement autoredimensionné pour accéder au rang de Saint Etienne, cet helléniste devenu champion de la chrétienté dans les premières décennies de notre ère, qui subit la première lapidation répertoriée pour avoir critiqué la dureté du Sanhédrin, le principal tribunal civil et religieux des juifs autrefois.

Pendant ce temps, à 4’230 kilomètres de Paris, l’Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, jugée coupable d’adultère suivant les normes d’un droit qui synthétise toutes les perversions du pouvoir local, attend sa propre exécution, momentanément suspendue. Après avoir souffert les prémisses, comptabilisées en quelques centaines de coups de fouet, de son supplice ultime.

C’est en quoi l’égarement linguistique d’Eric Woerth est éclairant. Il s’érige même en indice cardinal de la Sarkozie, devenu le territoire par excellence du délire au sens psychanalytique («état d’une personne caractérisé par une perte du rapport normal au réel et par un verbalisme qui en est le symptôme»).

Je résume. Vous avez un ministre qui commence par tordre allégrement le réel. Qui confond notamment sa propre figure avec celle de Saint Etienne, impliqué dans un débat d’idées avant d’être physiquement massacré. Et qui réfère son sort à celui de Sakineh Mohammadi Ashtiani, citoyenne iranienne n’ayant agi que dans sa sphère intime, et sans léser personne, avant d’être mise à mort en pratique.

Vous avez un ministre, surtout, qui qualifie d’inique l’investigation démocratique conduite à son endroit par les médias. A ses yeux, la mise au jour de ses comportements politiques est donc un processus qui relève du même arbitraire ayant tué Saint Etienne, ou du même obscurantisme s’apprêtant peut-être à tuer Sakineh Mohammadi Ashtiani.

Tel est le caractère remarquable de la construction mentale élaborée par Eric Woerth et ses amis. Elle nous fait voir le pouvoir actuel de la République française comme une bulle dont toutes les références, et toutes les normes de fonctionnement, sont puisées dans son propre sein et pour son bénéfice exclusif. Ainsi la grandeur de la France s’est-elle réduite à son autisme.