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La très grande faute de Micheline

Il faut être fou ou alors mal intentionné pour penser que cinq femmes au Conseil fédéral, c’est trop. La preuve par une Calmy-Rey passée à la moulinette de la pensée magique.

Micheline Calmy-Rey ne peut quand même pas, à chaque fois, avoir tout faux, tout tort. Sauf que voilà: ce coup-ci la nouvelle saillie de notre gaffeuse ministre des Affaires étrangères malmène l’un des points les plus sensibles du catéchisme contemporain. A savoir qu’une femme en politique, c’est tellement méritoire, et inespéré, que ça en devient intouchable. Alors cinq, pensez donc.

Pourtant, l’ardeur féministe de Micheline Calmy-Rey n’avait jusqu’ici guère été prise en défaut. Elle qui avait vite préféré aux bons vieux droits de l’homme l’épicène et creuse politesse des droits humains.

C’est pourtant bien cette Micheline-là qui trouve aujourd’hui que cinq femmes au Conseil fédéral ce serait peut-être beaucoup, et même carrément trop. Que ce gouvernement à cinq femmes, autant dire ce gynécée, dont nous menace la double élection du 22 septembre, pourrait souffrir d’un léger problème de représentativité. Que bien des hommes pourraient ne pas se reconnaître dans cet aréopage-là. Qu’en somme trop de jupons risqueraient bien de tuer le jupon.

Remarque à peu près banale, inoffensive d’autant plus qu’invérifiable. Les réactions outrées qui s’en sont suivies, par contre, laissent derrière elles quelques traînées saisissantes. On n’a concédé en effet à la sortie dominicale de Micheline Calmy-Rey que le bénéfice, ou plutôt le doute, de deux seules explications, toutes deux infamantes et s’excluant l’une l’autre: la folie ou la basse manœuvre.

Ainsi même sa camarade de parti et de nombreuses vieilles luttes, Maria Roth-Bernasconi, se demande crûment «quelle mouche l’a piquée». Le rédacteur en chef de «24 Heures», Thierry Meyer ose lui carrément formuler la question: «Micheline Calmy-Rey a-t-elle perdu la boule?» Avant de répondre bien sûr par la négative et de privilégier, comme tout le monde, l’autre piste. A savoir l’inélégance de la ministre qui aurait ainsi chercher à nuire à la candidate radicale Karin Keller-Sutter.

Personne en tout cas ne semble vouloir envisager un instant que Micheline Calmy-Rey ait tout simplement dit ce qu’elle pensait, à savoir que cinq femmes sur sept au gouvernement c’était peut-être exagéré. De même que longtemps on avait pu penser que sept, puis six, puis cinq hommes aux manettes ce n’était pas vraiment représentatif, ni juste, ni souhaitable.

La différence, c’est qu’ici une sorte de pensée magique semble se mettre en branle aussitôt que sont évoqués le rôle et la place des femmes en politique. La pensée magique, on le sait, ne s’embarrasse ni de raisonnement ni de logique mais se reconnaît précisément à cela: ne pouvoir envisager que la folie ou l’intention de nuire chez ceux qui ne pensent pas comme moi.

De la même façon, si l’ex-ministre Hainard a chuté, ce n’est pas pour avoir voulu trop de bien à sa bien aimée, mais parce que «sa chute était inscrite en lui», foi d’inquisiteur matinal.

Souvent, hélas, la pensée magique se tire une balle dans la tête. La conseillère nationale Géraldine Savary croit ainsi malin, pour clore le débat, d’avancer cet argument: «Je ne vois pas comment un homme ne se sentirait pas représenté par une femme compétente».

On ne peut qu’être d’accord et en conclure — l’inverse étant tout aussi vrai — qu’il n’y aurait donc aucun dommage à revenir au joli temps où le Conseil fédéral n’était squatté que par des hommes. Compétents, cela va de soi.