LATITUDES

Le divorce est socialement contagieux

Des chercheurs américains ont démontré une étonnante propagation: les couples se séparent plus souvent si leurs proches rompent. Explications.

Les couples qui divorcent entraînent d’autres séparations dans leur entourage. C’est l’étonnante démonstration d’une étude scientifique américaine, réalisée par des chercheurs des Universités de Harvard, de Brown et de Californie. Le divorce est socialement contagieux: lorsqu’une personne quitte son conjoint, la probabilité de séparation dans les couples autour d’eux augmente de manière significative. Le divorce se répand donc un peu comme un virus à travers les familles, les relations professionnelles ou les groupes d’amis.

D’après les résultats de l’étude, les personnes dont un des amis au moins divorce voient la probabilité de se séparer dans les deux ans augmenter de 147%! Si c’est un frère ou une sœur qui quitte son conjoint, la probabilité augmente de 22% et de 55% dans le cas d’un proche collaborateur.

Des résultats qui n’étonnent pas Fabienne Stettler, assistante doctorante à l’Institut de sociologie de l’Université de Neuchâtel: «Le phénomène contagieux du divorce ne me surprend pas. Voir des proches divorcer permet de se dire que d’autres — qu’on estime, qui sont proches de nous, qui ont la même situation — ont osé et arrivent à s’en sortir. C’est une décharge pour l’individu: moins de peurs, moins de poids. La pression de la famille, des amis, des collègues de travail n’est plus la même si on n’est pas le premier. Si d’autres le font, on se sent plus sûr de soi. Mais à l’origine, il y a toujours une envie de l’individu lui-même. Personne ne divorce uniquement par mimétisme!»

Les auteurs de l’étude appellent ce phénomène le «divorce aggloméré». L’effet est simple: un divorce dans son entourage invite toujours à se questionner sur son propre couple. «Le divorce d’un proche oblige à une remise en question à l’intérieur du couple, confirme Fabienne Stettler. Et les interrogations fusent: avons-nous les mêmes problèmes? Est-ce que notre situation est similaire? Ne serais-je pas plus heureux seul? Selon la façon avec laquelle le couple résout ses propres problèmes et gère le quotidien, il est plus ou moins fragile face à l’influence de l’extérieur.»

L’étude menée sur 12’000 Américains de Framingham, en Nouvelle-Angleterre, montre que le nombre de personnes divorcées dans l’entourage augmente la menace qui pèse sur le mariage. Plus un individu connaît de personnes divorcées, plus son mariage est fragilisé. Un avis que tempère Myriam Aïssaoui, psychologue genevoise spécialiste des couples: «Je constate parmi mes patients que les personnes dont les parents sont eux-mêmes divorcés viennent consulter plus tôt: ils cherchent à tout prix à éviter de commettre les mêmes erreurs que leurs parents.»

Contrairement à une idée reçue, les chercheurs américains démontrent que l’existence d’un enfant ne change en rien la probabilité de divorce du couple. «En Suisse, cet effet existe, même s’il est débattu, souligne Fabienne Stettler. La présence d’enfants réduit le risque de divorce lors des premières années. Je m’étonne que, dans cette étude, les auteurs n’aient rien trouvé à ce sujet.»

Existerait-il des différences entre la Suisse et les Etats-Unis en matière de divorce? «Il est important de prendre en compte que, en Suisse, l’image de la famille dite “traditionnelle” (à savoir la famille bourgeoise des trente glorieuses) est une référence symbolique très importante, poursuit Fabienne Stettler. Cette représentation de la famille imprègne encore et toujours la politique familiale en Suisse. Les Suisses ont donc des comportements un peu plus traditionnels que leurs voisins (les enfants se font dans le mariage, etc.), mais cela n’empêche pas le pays d’avoir le même taux de divorce que les autres pays du Nord. Je suppose donc qu’en termes de contagion, les résultats seraient les mêmes en Suisse qu’aux Etats-Unis.»
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.