TECHNOPHILE

La vague 3D jusque dans vos foyers

La consécration planétaire du film «Avatar» n’a pas uniquement révolutionné le cinéma; de la télévision aux jeux vidéo, les autres médias basculent à leur tour dans la troisième dimension. Zoom sur les nouveautés et projets les plus prometteurs de 2010.

Plus fort que le passage du noir et blanc à la couleur, l’avènement triomphant de la troisième dimension dans les salles de cinéma, incarné par le blockbuster «Avatar», est en passe de révolutionner l’industrie du divertissement au sens large. Téléviseurs, platines Blue-ray, consoles de jeux, l’année 2010 est bien celle de la transition vers un futur numérique que l’on nous promet tout en 3D.

D’abord dans les salles. Face au plébiscite grandissant du public pour les séances en relief, les grands studios hollywoodiens — mis à mal par le piratage et l’audience déclinante des films traditionnels — s’engouffrent dans la brèche, n’hésitant plus à repousser la sortie de titres phares pour pouvoir les proposer en 3D, comme l’a notamment fait Warner avec «Clash of the Titans», sorti au mois d’avril. Au total, 20 films en 3D made in Hollywood seront projetés cette année à travers le monde, contre une quinzaine l’an passé. Trois-quarts des projets concernent des films en images de synthèses, moins coûteux à produire. Parmi les productions les plus attendues, «Toy Story 3» (Disney) et «Shrek Forever After» (Dreamworks) pourraient bien faire le plein d’entrées pour leur début en 3D.

Cette avalanche de nouveautés ne va pas sans poser quelques défis logistiques aux studios et aux exploitants. Car la projection de films en 3D nécessite un équipement adapté: projecteur digital, lentille spéciale, software spécifique, lunettes. Le moment est venu d’enclencher la vitesse supérieure pour la mise à jour des infrastructures. C’est d’ailleurs ce qui se passe: le nombre de salles dans le monde équipées pour la 3D aura doublé d’ici à la fin 2010 par rapport à l’an dernier, passant de 7’000 à 14’000, selon une étude du cabinet londonien de consulting Futuresource, spécialisé dans l’industrie du divertissement. La tendance se poursuivra en 2011 avec au total 22’000 salles équipées.

La Suisse n’échappe pas à cet emballement, comme en atteste René Gerber, directeur de Procinema, l’association helvétique des exploitants et distributeurs de films: «Actuellement, 10% des salles en Suisse peuvent diffuser des films en 3D. Cette proportion atteindra au moins 18% l’an prochain. Dans certaines villes, l’offre va faire un bond en avant; c’est le cas à Berne, où seule une salle était équipée pour la 3D l’an dernier, contre déjà cinq aujourd’hui. «Pour les cinémas qui n’ont pas encore franchi le cap du numérique, l’investissement est conséquent, relève René Gerber. De l’ordre de 200’000 francs. Quant aux salles déjà équipées pour la projection numérique, les coûts de mise à niveau se situent entre 30’000 et 60’000 francs.» Au passage, cette évolution offre des perspectives intéressantes aux fabricants de lunettes 3D, un secteur ou les sociétés RealD et XpanD se profilent en tant que leaders.

Et après le cinéma, le secteur du home cinéma prépare à son tour sa révolution. A peine la haute définition arrivée dans les foyers, voici que les fabricants lancent déjà sur le marché leurs premiers modèles de TV et lecteurs Blue-ray (l’équivalent haute définition du DVD) compatibles 3D. Dans cette course à l’innovation, c’est le coréen Samsung qui a dégainé le premier avec une gamme 3D disponible en Suisse depuis la fin mars. Panasonic se profile également de façon très active sur ce créneau — la firme japonaise s’est largement impliquée dans le marketing du film «Avatar» — avec un modèle de TV plasma 3D disponible depuis la fin avril. Quant à son concurrent Sony, il entre dans la danse en ce mois de juin. Le CEO du géant japonais, Howard Stringer, estime que l’industrie de la 3D représentera 10% des revenus de son entreprise d’ici à trois ans.

Pour les fabricants de téléviseurs, le passage à la 3D n’implique pas de refonte technologique majeure, ce qui laisse augurer une généralisation rapide de ces modèles dans les magasins, selon Albrecht Gasteiner, directeur du Forum HDTV suisse qui réunit les grands constructeurs: «Proposer une déclinaison 3D de leurs dernières TV haut de gamme n’est pas une démarche très coûteuse pour les fabricants.» Il s’agit essentiellement d’une adaptation logicielle, à condition toutefois que le téléviseur dispose d’une fréquence de rafraîchissement suffisante (au minimum 200hz, soit 100hz par œil). Le surcoût pour un kit 3D (adaptation du téléviseur + lunettes) n’excède d’ailleurs pas 500 francs en moyenne.

Les consommateurs semblent se réjouir de faire le pas. Un récent sondage du cabinet Futuresource — effectué simultanément aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne et en France — indique que la 3D suscite un engouement important auprès du grand public: «Plus de 70% des personnes interrogées se disent intéressées par la 3D à domicile, soit une proportion étonnement élevée», relève Jim Bottoms, directeur de Futuresource. Et à la question plus concrète de savoir s’ils seraient disposés à acheter un nouveau téléviseur 3D plutôt que 2D, compte tenu du prix plus élevé, 48% des sondés (39% aux Etats-Unis) répondent par l’affirmative. «Nous estimons qu’aux alentours de 2016, la 3D se sera massivement imposée dans les foyers», pronostique ainsi Jim Bottoms. De son côté, l’Association américaine de l’électronique prévoit qu’en 2013 déjà, les téléviseurs 3D représenteront 25% des ventes.

«L’arrivée de la 3D ne signe pas la mort immédiate de la TV 2D haute définition, nuance cependant Albrecht Gasteiner. Je ne crois pas que les gens souhaitent s’équiper en permanence de lunettes 3D pour visionner tous les types de programmes! En revanche, dans le cas de films à grand spectacle ou de retransmissions sportives, la troisième dimension devrait trouver son public.» Les chaînes de télévision commencent d’ailleurs à occuper le terrain. La chaîne anglaise Sky diffuse déjà des matchs de foot en 3D dans certains pubs dotés de l’équipement adéquat. Aux Etats-Unis, les matchs de NBA sont désormais enregistrés en 3D, tandis que la chaîne de sport ESPN propose un certain nombre de programmes dans ce format. En France, Canal+ a également annoncé qu’elle proposerait une offre 3D pour la fin de l’année. «La 3D est l’avenir de la télévision digitale, et nous y participons activement en investissant massivement en R&D dans ce secteur depuis environ deux ans», révèle Ivan Schnider, responsable marketing chez Nagravision, filiale du groupe suisse Kudelski, qui développe des systèmes de cryptage et des guides interactifs de programmes pour les opérateurs TV. «Les prix des téléviseurs 3D vont baisser drastiquement au cours de l’année, poursuit Ivan Schnider, tous les grands opérateurs préparent des offres premium.»

L’expérience a montré que les grands événements sportifs encouragent les consommateurs à renouveler leur matériel. C’est dire si la prochaine Coupe du monde de foot, qui débutera le 11 juin en Afrique du Sud, constitue une étape à ne pas manquer pour l’industrie. Sony a déjà signé un partenariat avec la FIFA pour filmer 25 matchs en 3D. Le géant japonais revendique d’ailleurs une stratégie globale en matière de 3D, vouée à irriguer tous les pans de ses activités. Sony a ainsi annoncé que sa console de jeux Playstation 3, déjà écoulée à plus de 25 millions d’unités dans le monde, disposerait prochainement d’une mise à jour logicielle pour l’affichage de jeux en 3D.
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Avec ou sans lunettes?

Pour les téléspectateurs, tout comme pour les cinéphiles, la vision stéréoscopique implique de porter des lunettes spéciales, sauf à disposer d’un écran auto-stéréoscopique — cette technique industriellement très coûteuse et peu pratique (il faut impérativement regarder l’écran depuis un point précis) reste toutefois cantonnée à une utilisation scientifique ou médicale.

Dans le secteur du divertissement, les lunettes électroniques dites «actives» remplacent désormais les antiques lunettes «passives» à filtres colorés. Contrairement aux lunettes passives, dont les verres polarisants séparent les images destinées respectivement à l’œil gauche et à l’œil droit, les lunettes actives – alimentées par une batterie — permettent d’obturer alternativement les verres et de cacher l’image à l’œil qui n’est pas concerné, rendant ainsi une sensation de 3D.

Toutes les télévisions compatibles 3D sur le marché utilisent la technologie faisant appel aux lunettes actives. Et cela pour une raison simple: ce choix technique permet de préserver une qualité optimale pour tous les programmes en 2D. Par ailleurs, l’utilisateur n’a pas à se préoccuper de régler l’appareil. En fonction de la source (programme TV en 2D ou en 3D, Blue-ray en 2D ou 3D, DVD), le téléviseur affiche automatiquement l’image au format adéquat.
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L’industrie du X aime aussi la 3D

Toujours prompts à s’emparer des nouvelles technologies, les producteurs et réalisateurs de films X et érotiques pourraient bien être les premiers à exploiter toutes les possibilités de la 3D. La société Bad Girls in 3D a ouvert le bal, à la mi-janvier déjà, lors du Salon du X de Las Vegas. Elle a présenté un pack à 4’000 dollars incluant un téléviseur spécifique et une offre de vidéo à la demande.

Il y a matière, puisque le premier long métrage X en 3D stéréoscopique, «Shortcuts 3D», œuvre du français Tom Sridix, est d’ores et déjà disponible. Plus singulier, de grands réalisateurs affichent désormais leur intérêt pour l’érotisme en relief, et non des moindres: Quentin Tarantino («Pulp Fiction», «Kill Bill») en parle avec insistance, tout comme Gaspar Noé («Irréversible») et Tinto Brass… pour un remake du mythique «Caligula» de 1979.
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Les acteurs économiques impliqués

Cinéma
Les grandes sociétés de production américaines investissent dans la 3D, de Walt Disney Pictures à Dreamworks SKG, en passant par Twentieth Century Fox et Warner Bros. Pictures. Comme les films d’animation représentent la majorité des productions à venir, léger avantage à Dreamworks et Disney, passés maîtres en la matière. Pour rappel, Disney a racheté Pixar (Toy Story, Le Monde de Nemo, Les Indestructibles) en 2006.

Home cinéma
Sony, Panasonic, Samsung, LG, les gros bras de l’industrie du home cinéma — à l’exception de Philips qui préfère temporiser – comptent bien capitaliser sur l’engouement pour la 3D, afin d’imposer ce standard dans les foyers également. Samsung et Panasonic proposent déjà des offres complètes (téléviseur et platine Blue-Ray 3D), alors que Sony et LG monteront au front dès cet été.

Télévision
Sky Network TV et Canal+ se profilent en opérateurs pionniers de la 3D. Sky équipe depuis avril certains pubs anglais pour la retransmission d’événements sportifs en relief. Canal+ promet une offre 3D premium (films, sport, divertissements) pour décembre 2010. Le groupe Kudelski, est aussi un acteur clé de ce secteur, lui qui fournit les logiciels de cryptage et autres interfaces utilisateurs à différents opérateurs.

Jeux vidéo
Sony a annoncé une mise à jour logicielle de sa Playstation 3, prévue pour cet été, qui rendra la console compatible 3D. Du côté des jeux PC, le fabricant de carte graphique Nvidia propose depuis l’an dernier un kit 3D (carte et lunettes).
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote.