LATITUDES

«Kiss in», pour faire le plein de bactéries

Robert Koch, le père de la bactériologie, est mort il y a un siècle. Depuis, les Suisses seraient-ils devenus trop propres? L’hygiénisme a des limites; nous sommes condamnés à cohabiter avec des bactéries. Les «kiss in» tombent à point pour en faire provision.

Il y a un siècle, le 27 mai 1910, mourait Robert Koch, célèbre pour avoir découvert la bactérie responsable de la tuberculose, le bacille de Koch. Après avoir isolé le germe auquel il laissera son nom, le chercheur s’était attaqué à des bactéries responsables d’autres pathologies: choléra, maladie du charbon, paludisme ou encore maladie du sommeil. Une carrière couronnée, en 1905, par le Prix Nobel de médecine.

C’est par des mesures d’hygiène que l’on luttera dès lors contre la transmission de nombreuses maladies. Koch était convaincu que l’homme parviendrait à vaincre n’importe quelle bactérie. Une conviction erronée. L’infectiologie moderne est aujourd’hui confrontée à des défis très différents. Au coeur de ceux-ci: comment l’homme pourra-t-il combattre demain les infections générées par des germes devenus résistants aux antibiotiques?

En bonne élève du Docteur Koch, la Suisse a fait des bactéries ses principales ennemies. Devenue la championne de l’hygiénisme, elle suscite maintes plaisanteries à l’étranger et l’irritation de certains de ses ressortissants. Le dernier coup de gueule vient de paraître dans «Die Zeit» (12 mai 2010).

L’hebdomadaire allemand a demandé à dix personnalités de notre pays quelles mesures elles préconisent pour améliorer la Suisse, «10 Ideen für eine bessere Schweiz». La proposition du philosophe Ludwig Hasler est intitulée «Vivez moins sainement!» Son souhait: que la Suisse quitte son hygiénisme outrancier et ose se confronter aux bactéries.

«Quand le fait d’être en bonne santé devient la devise de la politique fédérale, c’est un symptôme de décadence. Etre en bonne santé, magnifique, mais pourquoi? On n’ose pas poser la question. N’avons-nous pas d’autre projet que d’être physiquement ok et de devenir centenaire?», s’interroge le chargé de cours en théorie des médias de l’Université de Saint-Gall.

«Atteinte d’une folie hygiéniste (Hygienefimmel), la Suisse ruine le système immunitaire de ses citoyens. L’homme se renforce non en se protégeant mais en se confrontant à de la résistance», rappelle Ludwig Hasler, que l’on peut lire au sens propre ou au figuré.

Sont-ils toujours nos ennemis, ces micro-organismes? Notre corps en contient deux kilos, soit des milliards de bactéries qu’il serait contreproductif de vouloir éliminer. Elles décomposent par exemple les substances de ballast de l’intestin qui, sans elles, ne pourraient être digérées. Elles produisent aussi des vitamines importantes (K, B12) et contribuent à la résorption des glucides. On en ajoute d’ailleurs dans les yaourts.

Un équilibre s’est établi entre l’homme et ses hôtes microbiens. L’attaquer, c’est mettre en danger notre santé. Les bactéries seraient là depuis trois milliards et demi d’années et nous survivront vraisemblablement. «La vie a débuté avec un mode bactérien statistique. Ce mode bactérien s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui et se maintiendra éternellement, du moins jusqu’à l’explosion du Soleil et la destruction de la Terre… Le paradigme du succès de la vie a de tout temps été la bactérie», lit-on dans «L’éventail du vivant» (éditions du Seuil) de Stephen Jay Gould.

A ce propos, ce lundi, les «kiss-in» organisés à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie renforceront les systèmes immunitaires des participants qui s’embrasseront goulûment en public. Car s’embrasser, c’est échanger des milliers de bactéries.