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Burqa, le débat maudit

Revoilà la polémique sur la burqa. Un débat piégé où l’on se retrouve vite sommé de choisir entre deux jusqu’au-boutismes. Et vous, où vous situez-vous?

Micheline Calmy-Rey trouve que ça serait trop compliqué à expliquer aux pays musulmans. Eveline Widmer-Schlumpf, elle, confesse de son côté ne pas supporter les gens masqués. En conséquence de quoi l’une est plutôt contre l’interdiction de la burqa et l’autre plutôt pour.

Des arguments sans trop d’épaisseur, limite puérils, d’un côté comme de l’autre. A la décharge de nos ministresses, il faut reconnaître que c’est un peu la malédiction de ce débat sur la burqa: coincer chacun entre deux postures jusqu’au-boutistes. A savoir l’islamophobie paranoïaque, très répandue dans nos campagnes, à la Widmer-Rey, et l’islamophilie béate, florissante surtout aux marges de la gauche et au sein des médias, à la Calmy-Schlumpf.

«La peur des Suisses face à la burqa», titre ainsi sans rire un quotidien réputé, il est vrai, pour son sérieux. Alors que la burqa, les Suisses, dans leur écrasante majorité, s’en contrefichent largement, soyons-en sûrs.

D’autant que si le chiffon noir se mue à nouveau ces jours en chiffon rouge, c’est seulement parce qu’une simple motion a été déposée au Grand conseil argovien, autrement dit nulle part. Certes, on peut présager sans risque, vu le panurgisme des parlements cantonaux et leur goût pour les vaines polémiques leur assurant une visibilité disproportionnée, que la couardise argovienne va essaimer ici ou là. Et que l’infernal dichotomie n’a pas fini de pomper du bon oxygène démocratique.

Vous estimez par exemple que les femmes portant la burqa en Suisse ne sont qu’un poignée et qu’il n’y a pas là de quoi fouetter ne serait-ce qu’un chat? Islamophilie béate! Il se trouvera bien quelqu’un pour vous signalez ceci: ce petit nombre est justement la preuve que la burqa se situe à l’extrême lisière de l’Islam, se veut le signe d’un radicalisme d’autant plus violent et intolérable qu’ultra minoritaire.

Vous considérez, d’un autre côté, que le port plus ou moins forcé de la burqa est un insupportable affront fait aux femmes, un symbole d’un autre âge, celui où un patriarcat bien compris asservissait toutes et chacune? Islamophobie paranoïaque! Vous ne connaissez rien à la grandeur, au bonheur qu’on peut trouver dans la fidélité, la chasteté, la soumission éternelle à un seul et même homme, toutes grandes et belles choses dont notre Occident chrétien et si décadent n’a plus idée.

Vous trouvez, à contrario, que les partisans sectaires de la burqa n’ont pas plus à voir avec l’Islam que les bigots-fachos d’Ecône avec l’Eglise catholique? Islamophilie béate! Vous oubliez que l’inquisition n’existe plus depuis quelques siècles, vous ne voulez pas voir les attentats quotidiens, qui frappent toujours des innocents, et sont toujours commis au nom de ce même islamisme qui prône la burqa.

A ce propos, vous considérez que de bonnes musulmanes drapées et masquées jusqu’aux orteils se faisant exploser dans la foule, ça s’est déjà vu, et que donc interdire la burqa n’est qu’une simple et juste mesure de sécurité publique. Islamophobie paranoïaque! Le spécialiste des religions Stéphane Lathion le rappelle dans Le Temps: 90% des musulmans aspirent à vivre «comme des Suisses», et tout à fait «démocratiquement». S’exclamer à cet instant du débat «Seulement?» ne fera qu’aggraver la mauvaise pente de l’islamophobie et de la paranoïa.

Que faire alors? Plutôt que se voiler la face, prendre peut-être de la hauteur, relire pourquoi pas Levinas, le philosophe qui considère le visage comme une trouée dans la totalité du mal, comme l’irruption miraculeuse venant saper la persistance de mon égoïsme.