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Un roman pour Max, un max pour Roman

La Suisse reste insensible aux appels de Polanski. La Lybie pourrait torpiller la libération de l’otage Göldi. Rien à voir? Question d’échelle et de perspective.

Les prisonniers sont à la mode. Ceux-là ne s’appellent ni Skander ni Vogt. Plutôt Max et Roman. Ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre, sauf la Suisse. L’un est assigné à résidence parce que venu en Suisse, l’autre retenu en Libye simplement parce que Suisse. L’un dans «une geôle de Tripoli, sans lumière du jour», l’autre dans son chalet de Gstaad, enchainé électroniquement, mais avec, on suppose, toute la lumière du jour qu’il faut.

Théoriquement, l’otage Max Göldi devrait sortir le 22 juin. Du moins de sa geôle sans lumière du jour. S’agissant de quitter la douce Libye, en revanche, ce n’est pas gagné. Rien, nous assurent les connaisseurs du dossier, rien ne dit que les bonnes autorités locales délivrent comme ça, sur sa seule bonne mine, sa bouille d’innocent, un visa de sortie à Max Göldi.

Il se pourrait même que lesdites bonnes autorités poussent le professionnalisme, le souci du travail bien fait, jusqu’à trouver de nouveaux chefs d’inculpation contre l’ami Max. Surtout que le colonel Kadhafi n’a jamais été aussi fier, ni de si petite humeur, lui qui compare désormais les méthodes de la Suisse à celles d’Al-Qaida. C’est peut-être faire quand même beaucoup d’honneur à nos capacités de nuisance. Pour Max Göldi, en tout cas, cela ressemble à un très, très mauvais roman.

L’autre repris de justice, dans son chalet, l’excellent Polanski, pourrait bien finir, lui, à force de compter et recompter les sapins, par tomber d’accord avec le fier colonel: les suisses sont, effectivement, de vraies bêtes sauvages, de fieffés tortionnaires. La supplique, en tout cas, adressée par le pauvre Roman au monde entier, sur l’air cadencé et chaloupé de «Je ne peux plus me taire», a laissé de glace les terrorisantes autorités suisses.

Polanski a bien un argument massue: le procureur de l’époque, qui ne doit tout de même plus être très frais, a confirmé sous serment la version des faits du cinéaste, à savoir le deal passé avec le juge Rittenband, les 43 jours de tôle qui auraient dû être pour solde de tout compte, avant que Rittenband le félon ne se rétracte et déclare l’affaire encore à juger. Les autorités suisses affirment avec morgue que ces menus détails, ces infimes péripéties, ne les regardent pas, qu’il y a simplement des accords mutuels d’extradition à respecter avec les Etats-Unis, où Polanski aura tout loisir de faire valoir sa bonne foi. Point barre, circulez.

Notons quand même que 43 jours pour le viol d’une mineure, ça ferait de la justice américaine la plus clémente du monde. Notons aussi que Max Göldi, lui, est retenu en Libye depuis 655 jours, sans n’avoir violé rien ni personne. Et puis, dès le début, les amis de Polanski soulignent avec véhémence qu’il est devenu impossible, après toutes ces années, de juger quoi que ce soit avec sérénité. Et il serait par contre possible de déjuger? De faire témoigner un des principaux acteurs de l’affaire, 33 ans plus tard?

De toute façon la Suisse ne veut rien entendre et confirme ainsi l’antique et fameux adage: raide comme la justice de Berne. Une justice prête à livrer Polanski aux appétits d’un procureur bien actuel, en pleine forme, et en pleine campagne électorale surtout, avec un appât inespéré: un satire polonais et cultivé, parfait pour rendre fous les plus bigots et les plus obtus de ses gentils électeurs.

Il ne reste plus à espérer que face à tant de brimades, Polanski n’aille pas, comme cela semble être la mode chez les grands incompris embastillés, mettre le feu à sa paillasse. Enfin à son chalet de luxe. Lui, du moins, pourra sûrement compter sur la célérité des pompiers de Gstaad.